"Une Suisse sans armée" n°44, hiver 99, pp. 26-27

Livres nouveaux:

Depuis 1991, le GSsA s’est engagé activement dans le soutien aux activités des mouvements anti-guerre en ex-Yougoslavie. Ce genre d’activités a marqué la nouvelle approche entreprise par une partie du mouvement pacifiste qui a passé d’un pacifisme uniquement de protestations vers un pacifisme qui fait aussi des propositions. Avec le projet des volontaires de Pakrac, le livre d’Astrid Astolfi documente un exemple concret de cette nouvelle approche et montre aussi comment l’initiative pour un service civil volontaire pour la paix découle de cette démarche.

Reconstruction après la guerre: L’exemple de Pakrac (Croatie)

Astrid Astolfi,
Préface de Maja Wicki,
Postface de Catherine Samary
décembre 1999, ies éditions Genève en coédition avec l’Harmattan Paris, 288 pages

Que faire, comment intervenir, face aux guerres civiles et aux “conflits ethniques” qui se succèdent après la fin de la guerre froide?

Avec le Projet des volontaires de Pakrac, la démarche entreprise par la Campagne antiguerre Croatie (ARK), en collaboration avec plusieurs organisations pacifistes internationales, va bien au delà d’un simple projet d’aide humanitaire. Pendant trois ans, ces organisations ont conduit - avec la participation de centaines de volontaires - un projet de reconstruction, mais aussi de développement social et politique à Pakrac, petite ville de Slavonie occidentale détruite à 80% et divisée en deux parties, l’une sous contrôle croate, l’autre sous contrôle serbe. En travaillant avec les gens des deux côtés de la ligne de séparation, les volontaires contribuaient non seulement à la reconstruction des maisons détruites, mais aussi au rétablissement de la communication entre les deux parties ainsi qu’à la réalisation de projets venant de la population.

Dans le contexte de la construction de la paix, le Projet de Pakrac a été un projet pilote tout à fait nouveau, une action civile, politique et sociale pour favoriser la transformation non violente des conflits. L’expérience de la pratique politique directe sur le terrain montre que, pour atteindre une paix durable, il est nécessaire de travailler à long terme avec la population pour favoriser la citoyenneté et le développement d’une société civile démocratique.

Comme le dit Catherine Samary dans sa postface, «Pakrac a été un exemple remarquable de collaboration entre organisations des sociétés civiles serbe et croate pendant la guerre. De tels mouvements “d’en bas” pacifistes, féministes, syndicaux, contre la guerre et les haines qu’elle propageait, ont été étouffés et marginalisés dans le monde de la “real politik” de nos gouvernants négociant avec les fauteurs de guerre. (...) L’analyse fine et sans complaisance que fait Astrid Astolfi de l’expérience de Pakrac, relève d’un militantisme d’un type nouveau et peut aider à le développer: le politico-humanitaire.»

Astrid Astolfi est animatrice socioculturelle, elle a suivi sa formation à l’Institut d’études sociales (IES) à Genève. Depuis 1988 elle est militante au GSsA, dont elle a été secrétaire pour la Suisse italienne durant quatre ans. Astrid Astolfi a été active dans plusieurs groupes socioculturels et politiques.

Prix: 35.-

La nouvelle guerre froide

Gilbert Achcar,
Presses universitaires de France, 1999.

Rares, de nos jours, sont les écrits qui donnent au lecteur des clés qui lui permettent de comprendre certaines réalités. Indéniablement, celui de Gilbert Achcar, professeur en sciences politiques dans deux universités parisiennes, fait partie de ces livres nécessaires.

Composé de deux essais, l’un écrit à la fin de l’année passée, l’autre quelques semaines après la guerre du Kosovo, «La nouvelle guerre froide» décortique, sur moins de 120 pages, l’évolution de la politique militaire américaine depuis la fin de la guerre froide pour aboutir à ce terrible constat: «la formidable occasion historique de façonner pour le XXIe siècle un monde plus pacifique que celui du siècle tragique qui s’achève aura été perdue» (p. 103).

A l’appui de cette thèse, l’auteur s’attèle d’abord à analyser l’adaptation des doctrines officielles américaines à la nouvelle situation issue de l’effondrement de l’Union Soviétique en 1989-91. Cette adaptation n’est pas seulement étudiée dans son devenir mais elle est également confrontée à l’évolution du budget militaire des Etats Unis. Constatant que les «dépenses pour la défense de 1977 (…) sont supérieures (en prix constants) à celles de la plupart des années de la Guerre froide avant 1980 et que au cours des trois décennies passées elles ne sont dépassées qu’au plus fort des deux guerres de Corée et du Vietnam» (p. 14). Achcar en vient à conclure que le scénario officiel des doctrines américaines «avec pour ennemis l’Irak (ou l’Iran) et la Corée du Nord (…) ressemble fort à une mystification» (p.19).

Dès lors, seuls «deux adversaires potentiels peuvent fonder une hypothèse extrême permettant de justifier le niveau des moyens militaires entretenus par les Etats Unis» (p. 26): la Russie et la Chine. C’est à partir de cette compréhension qu’il est également possible de comprendre le rapprochement entre ces deux pays aux arsenaux encore bien garnis et la vente à la Chine de grandes quantités de matériel stratégique par une Russie qui trouve dans ce commerce le moyen de compenser l’aide pour le moins conditionnelle que lui apporte le FMI.

Ce glissement vers «une nouvelle version de la configuration stratégique de la phase initiale de la guerre froide», n’est pas le fruit du hasard: il résulte d’options prises par l’administration Clinton au cours des années 1993 à 1995. C’est dans le deuxième essai «Raspoutine joue aux échecs, ou comment le monde bascula dans une nouvelle guerre froide» que ces options sont analysées.

L’auteur démontre à l’appui d’importantes citations comment, alors que les médias du monde entier se passionnaient pour les aventures extraconjugales du président Clinton, son administration, largement inspirée par l’ancien secrétaire d’Etat Z. Bzrezinsky, prenait des décisions capitales pour l’avenir du monde.

Il établit en particulier des analogies historiques avec quatre grandes périodes de l’histoire récente pour analyser la manière dont la puissance victorieuse de la guerre froide à su gérer sa victoire. Ainsi, l’attitude de G. Bush d’abord et celle de l’administration Clinton ensuite, s’apparente bien moins de celle adoptée par les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale à l’égard des puissances vaincues (ou à celle des puissances réactionnaires à l’égard de la France à l’issue des guerres napoléoniennes) que de celle des vainqueurs de la première guerre mondiale et fut source de tensions telles qu’elles aboutirent au nazisme d’abord, à la deuxième guerre mondiale ensuite.

Et c’est en particulier à partir de cette compréhension des choix faits à Washington qu’il analyse l’échec de Rambouillet, la guerre du Kosovo , l’actuelle situation dans le Caucase ou au large des côtes taiwanaises faisant de ce petit livre, un outil indispensable pour comprendre et, partant, pour agir.

Prix: 28.60
P. Gilardi

Conférence de l'auteur à Genève (voir agenda).