"Une Suisse sans armée" n°44, hiver 99, p. 25

En marge d’une conférence débat:

Euthanasier le service militaire et faire avorter l'armée de métier

Le 11 novembre dernier à Genève, Michel Auvray a présenté son dernier livre L’âge des casernes - Histoire et mythes du service militaire (éditions de l’Aube, 1998 - 40.- au secrétariat). Un voyage dans le temps et dans la géographie militaires, l’occasion également d’appréhender l’avenir du service militaire et de l’armée.

Un service militaire sur la défensive,

Ce n’est peut-être pas pour demain, mais la disparition du service militaire tel que nous le connaissons en Suisse est sans doute programmée. Les initiatives du GSsA vont certes dans ce sens, même si malheureusement il est fort probable que son abolition vienne finalement d’en haut.

En effet, il semble que certains milieux généralement attachés à l’armée de milice - les milieux économiques notamment - commencent à baisser la garde : ils n’apprécient pas forcément de voir leurs cadres déserter le bureau pour la caserne. Cela coûte cher et perturbe l’entreprise... ce qui sera évidemment, à terme, plus déterminant que la survie du bistrot du coin ou du tailleur d’en face.

Quant aux fonctions traditionnelles du service militaire (brassage social, cohésion nationale, respect de la hiérarchie, éducation patriotique, etc.), il y a belle lurette que la société helvétique a trouvé d’autres moyens de les assurer.

A cet égard, les nouvelles tâches «civiles» des recrues ou miliciens - prise en charge de réfugiés, déblayage d’avalanches... - peuvent être comprises comme une sorte d’acharnement thérapeutique destiné à justifier encore un peu un service militaire coûteux, devenu inutile et qui perd ses marques.

Une tactique défensive donc, un combat d’arrière garde.

mais une armée offensive...

Si les années du service militaire semblent comptées, il n’en est pas de même de l’armée. En point de mire: une armée de spécialistes, de professionnels, hautement technologisée, OTAN-compatible et exportable...

Il y a là comme un effet pervers. Combien de citoyennes et citoyens se contenteraient de ne plus être obligés de remplir leur devoir militaire, laissant aux professionnels le soin de faire joujou avec leur matériel sophistiqué, ou d’aller faire la police dans les Balkans ou ailleurs?

induisent une conclusion logique

Alors, la disparition du service militaire, ou sa «civilisation», contre une armée professionnelle «dégraissée»? Voila un marché de dupes! La recherche de la paix passe évidemment autant par la suppression des causes des conflits (qui ne sont pas d’ordre militaire) que des moyens de les gérer (qui sont notamment d’ordre militaire).

Certes, supprimer l’outil ne suffit pas à supprimer les causes, qui sont d’ordre politique, économique, culturel, éthique ou social... Mais d’une part il est sans doute plus facile de commencer par supprimer les outils, et d’autre part les deux initiatives du GSsA n’ont de sens que si elles s’inscrivent dans des démarches plus globales visant à créer enfin une société juste, pacifique et solidaire.

Ces deux initiatives - qui ont l’avantage et la cohérence de ne pas distinguer le service militaire de l’armée - sont donc plus que jamais nécessaires.

Philippe Tonnelier