"Une Suisse sans armée" n°44, hiver 99, p. 16

Ringard, l'antimilitarisme?

Les guerres oubliées

Ignorées par les médias, guerres sans images TV ou alors déjà oubliées, elles n’existent pas ou plus. Après la première guerre télévisuelle de l’histoire savamment médiatisée et imposée par CNN et le gouvernement américain (guerre du Golfe), la seconde par la proximité géographique du conflit dans les Balkans, c’est maintenant la guerre que mène l’armée russe pour détruire la Tchétchénie qui fait la une de tous les médias confondus.

Et toutes les autres guerres, alors? Ignorées par manque d’information ou d’intérêt? Pourtant, chaque jour dans la presse, vous pouvez lire tous les résultats des matchs de foot et la valse quotidienne, combien précise, des bourses helvétique, européenne et mondiale, au centième de centime près... Que sait-on donc encore de ces guerres oubliées, si ne n’est qu’une fois de plus, ce sont les civils qui sont les premières et nombreuses victimes de ces guerres voulues, entretenues le plus souvent par des régimes militaires qui sortent fusil et canons dès qu’ils entendent les mots «justice», «liberté» et «démocratie»! Répression, assassinats, arrestations, viols, tortures, emprisonnements arbitraires, prisonniers oubliés, blessures graves avec handicaps physiques et psychiques, destruction des villages, souvent absence de nourriture, d’eau et de soins, fuite, personnes ou populations déplacées, flots de réfugiés, haine et réconciliation difficiles voire impossibles. Voilà le lot presque banal que cause chaque guerre.

Le tour de «guerre - terre - misère» que je vous propose n’est sûrement pas complet, hélas!, et le proche an 2000 sera encore de toute violence pour:

La Colombie, le Pérou, le Chiapas (Mexique), le Libéria, la Sierra Leone, l’Angola, le Mozambique, le Soudan, l’Éthiopie et l’Érythrée, le Soudan, la Somalie, le Sahara occidental, l’Algérie, le sud Liban, la Palestine, l’Irak, la Syrie, le Kurdistan, le Cachemire, l’Afghanistan, le Daghestan, la Tchétchénie, le Timor, le Sri Lanka, les Balkans... Il n’y a pas de fatalité dans tous ces conflits, quand les politiques du Pouvoir et les injustices sociales infligées aux populations ne sont pas remises en cause par la communauté internationale, ou quand celle-ci tente de trop timides interventions diplomatiques ou humanitaires pour calmer le jeu, alors que l’incendie a déjà fait rage et que les ingérences militaires otanesques ne résolvent rien du tout.

Il n’y a pas de fatalité quand la communauté internationale ne s’oppose pas à la fabrication d’armes (terre, mer et ciel), un marché exceptionnel à moderniser régulièrement et à exporter légalement ou illégalement. Il s’agit de millions et de milliards de dollars mis en jeu chaque mois. La future armée «humaniguerre» européenne qui se prépare (sommet d’Helsinki du début décembre 1999) sera une grande victoire pour les gros fabricants d’armes en Europe, puisque l’armement devra être eurocompatible, et d’autant plus qu’une dizaine de pays vont bientôt agrandir la Communauté européenne. C’est pourquoi Adolf Ogi conditionne le peuple pour lui vendre rapidement des soldats suisses armés et exportables en vue de missions pour la «paix»! L’Europe est incontournable, de même que son développement. Mais s’il nous faut seulement penser en termes de grand marché économique européen (en euros s’il vous plaît), dont tous les jours on mesure et on subit les dégâts, s’il nous faut une armée européenne pour faire face au dieu dollar et à l’OTAN, que deviendront alors nos luttes de résistance sociale, notre détermination pour le désarmement, en faveur d’une véritable culture de paix, de solidarité internationale, d’accueil et de développement durable? Par ses propositions, ses réflexions et ses actions, le GSsA résiste et lutte pour un avenir différent. L’antimilitarisme est-il ringard, MM. Jacques-Simon Eggli et Andi Gross? Posons la question aux Colombiens, aux Péruviens, aux Indiens du Chiapas, aux Libériens etc.

Luc Gilly