"Une Suisse sans armée" n°43, automne 99, p. 7

Réforme de l’armée:

Modernistes contre passéistes?

Après la poussée de l’Union Démocratique du Centre (UDC) aux élections fédérales, la dernière semaine d’octobre a été riche en événements. Les membres et sympathisant(e)s du GSsA auront noté l’aboutissement formel de nos deux initiatives. Mais encore le Conseil fédéral a proposé une révision de la loi militaire qui fait la part belle aux interventions à l’étranger. Et enfin le troisième anniversaire du service civil a donné l’occasion à son chef de faire un bilan critique. Mais reprenons.

À cause du refus de la création d’un corps de casques bleus par peuple en 1994, la Suisse ne peut pas envoyer à l’étranger des troupes armées. Les militaires suisses se cherchent de nouvelles tâches pour redorer leur blason et ne se satisfont pas de la situation. C’est ainsi que des troupes non armées ont été envoyées au Kosovo pour fournir un appui logistique aux contingents allemand et autrichien. Au grand dam des officiers modernistes, les soldats suisses ne sont pas autonomes et doivent compter sur les autres pour leur protection. Cet état de fait est, selon eux, absurde. De plus, la Force internationale de paix au Kosovo (KFOR) réclame désormais des policiers militaires suisses armés.

Hasard du calendrier, c’est précisément après la victoire de l’UDC tendance Blocher - son grand rival au sein de ce parti - qu’Adolf Ogi, le ministre de la défense, et le Conseil fédéral ont proposé une révision de la loi sur l’armée. La sécurité de la Suisse passe maintenant par des missions armées pour la paix à l’étranger. Pas question cependant d’intervenir militairement pour imposer la paix. La Suisse participerait, sous l’égide de l’OTAN, de l’ONU ou de l’OSCE, à des missions de soutien de la paix. Or c’est là que le bât blesse. Les expériences au Kosovo ont montré que les soldats suisses doivent pouvoir se défendre contre des bandes armées, avec des armes d’autodéfense: bâtons, sprays, pistolets, véhicules blindés et armés, voire même mitrailleuses ou canons de DCA. De telles interventions nécessiteraient l’approbation du Parlement. Un référendum de l’Association pour une Suisse Indépendante et Neutre (ASIN), présidée par le même Blocher, est programmé.

Qui est passéiste?

La Suisse préfère envoyer cent soixante soldats pour plus de cinquante millions de francs, qui ne profiteront guère à la population du Kosovo, au lieu d’intervenir par des activités de reconstruction, de rapprochement des parties en conflit, pour un moindre coût et pour des effets durables. C’est ici que les initiatives du GSsA montrent leur utilité et leur actualité.

Le combat entre «passéistes» et «modernistes» va une fois de plus faire rage. Pourtant, à notre sens, les deux visions font preuve d’une vision étriquée, qui ne cherche pas à dépasser la violence, la loi du plus fort, qui a montré ses limites et a apporté son lot de larmes et de sang au cours des siècles. La «troisième voie» du GSsA aura bien du mal à se faire entendre.

Un service civil en péril

Cette révision est à mettre en rapport avec une réforme de l’armée plus en profondeur. On parle désormais de cent à cent cinquante mille soldats, au lieu des trois cent mille actuels. Il y aurait un choix entre le service militaire et une protection civile réformée. Aucune trace du service civil actuel. De nombreux jeunes seraient pourtant prêts à s’engager à l’étranger dans le cadre de leur service civil.

Troisième volet de cette semaine riche en événements, à l’occasion du troisième anniversaire du service civil, né en octobre 1996, Samuel Werenfels, chef de l’administration du service civil, a fait un bilan devant la presse. 1300 demandes ont été déposées chaque année, ce qui fait 2 à 3 % des conscrits. Ce taux est à mettre en face des 20% des jeunes autrichiens et 50% des jeunes allemands qui accomplissent un service civil. M. Werenfels met ce faible taux sur le compte de la trop grande mansuétude des médecins, qui réforment trop facilement les jeunes réfractaires à l’armée. Il pense également que l’audition personnelle des candidats au service civil est superflue. On pourrait ajouter la difficulté de faire un dossier, particulièrement pour les jeunes apprentis, et les ergotages des commissaires qui se livrent à des procès d’intention inadmissibles. On se croirait revenus à l’inquisition des consciences du temps des tribunaux militaires!

Cependant, M. Werenfels se livre à d’autres réflexions plus intéressantes. Ainsi, selon lui, le service civil est trop souvent oublié dans les projets de politique de sécurité. Il lui manque des buts bien définis. On l’oublie également quand il s’agit de faire face à une crise comme l’afflux de réfugiés. On a pensé à appeler l’armée et la protection civile, mais pas les civilistes. De même, l’envoi de civilistes à l’étranger n’est peut-être pas assez développé.

Enfin, le service civil est trop long, du moins pour certaines tâches astreignantes. De l’aveu de M. Werenfels, l’aide aux personnes âgées dans des homes est plus intense que l’engagement à l’armée. Il pourrait aller plus loin et reconnaître que les tâches du service civil sont bien plus utiles à la société et que sa durée doit être égale à celle du service militaire.

L’actualité nous montre que notre action est toujours nécessaire pour répondre à la militarisation de la société. Nous devons montrer sans relâche qu’une alternative civile de résolution des conflits est possible, utile et nécessaire. En ce sens, n’en déplaise à nos détracteurs, nos initiatives sont une contribution indispensable au débat.

Sébastien L’haire