"Une Suisse sans armée" n°43, automne 99, p. 11

Hommage:

Pour avoir répondu «non» à un colonel…

Le 25 août dernier, Maxime Chalut, sans crier gare, prit la décision de faire un voyage dont on ne revient plus...laissant ses proches, ses nombreux amis dans le désarroi et la tristesse. Il est difficile de parler de quelqu’un avec qui l’on a partagé une bonne partie de la vie. Difficile de parler aussi de sa belle indignation contre toutes les injustices, toutes les horreurs des guerres. Difficile de parler aussi de ses coups de gueule (qui n’ont pas toujours fait plaisir à tout le monde), de son rire. Bref, il avait l’amour de la vie, de la fête. Il avait l’amour tout court. Salut jeune homme, je t’aimais tant!

Il n’aimait pas jouer les héros, en fait ça l’emmerdait...mais au GSsA, Maxime en a impressionné plus d’un. En publiant l’article, ci-après, que Maxime rédigea pour la brochure «Pour une histoire sans trous de mémoire»1, le GSsA a voulu exprimer un hommage à celui qui osa (non sans crainte – à 20 ans) défier l’institution militaire en refusant de tirer sur des travailleurs en lutte. Claire (son épouse).

«De 1932 à nos jours les changements de vie furent nombreux. Toutefois, il est une constante qui ne change pas: l'exploitation du travail, le profit maximum, le pouvoir de la classe possédante, aujourd’hui en d’autres termes, la société libérale.

La crise ouverte en 1928 par la déconfiture de l’économie américaine se fait sentir en Europe.

L’Italie a son dictateur, le fascisme se développe et c’est à ce système que pensent recourir nos édiles locaux. C’est alors que les partis au gouvernement s’unissent, sous la bannière de l’Union nationale, dirigée par Georges Oltramare, partisan de la manière forte.

Une campagne de haine à l’endroit des organisations ouvrières, avec un déferlement d’injures, de menaces, d’antisémitisme outranciers, dont la conclusion est la mise en accusation publique (Tribunal inquisitorial) de Léon Nicole et de Jacques Dicker, dirigeants du Parti socialiste genevois, pour le mercredi 9 novembre 1932 en la salle communale de Plainpalais. Il est urgent d’arrêter la progression de ce mouvement de revendications sociales de plus en plus pressantes.

Afin d’assurer la réussite de cette manifestation, relevant de l’inquisition, le gouvernement genevois complices, fait appel à l’armée. Le temps dont il dispose est court. Aussi fait-on intervenir l’école de recrues d’infanterie de Lausanne pour accomplir cette (triste) fonction, école de recrues en instruction depuis le 28 septembre 1932, soit 40 jours seulement. Bien que tout Suisse «naît soldat», qu’apprend-il en 40 jours; si ce n’est obéir sans réflexion aux ordres reçus?

C’est donc dans ce climat que le mercredi 9 novembre, vers 13h, un ordre est donné de se préparer à rétablir «l'ordre» à Genève où un début de révolution a éclaté (sergent major III/I/32 dixit). Puis d’échanger les cartouches à blanc d’exercice contre des cartouches à balles!

Le colonel Lederrey, commandant de l’école, informe les recrues que des troubles graves ont éclaté à Genève et que, dès cet instant, «vous n»êtes plus des recrues, mais des soldats au service du pays» et, ajoute-t-il, «qu'à l’ordre de tirer, il vous est interdit de tirer en l’air». Il était 14h ce 9 novembre 1932. A 21h30, soit 6h30 après avoir pris possession des cartouches à balles, des jeunes soldats de 20 ans tuaient 13 citoyens et en blessaient 65 autres devant le Palais des expositions, boulevard du Pont d’Arve.

Y avait-il préméditation? Non! Il s’agissait simplement de démontrer au peuple genevois que l’on ne s’attaque pas impunément à l’ordre établi.

Du procès qui s’en suivit, en mai 1933, l’on voit la condamnation, non pas de ceux qui ont commandé le feu des mitrailleuses, mais de ceux qui défendaient la liberté et le droit au travail. Bien que le peuple de Genève ne fut pas entendu lors de ce procès préfabriqué, ce peuple fidèle à ses traditions (Bertholier, Pécolat, Fatio, Rousseau) fait sortir de prison les condamnés, dont l’un, Léon Nicole, sera élu Conseiller d’Etat, en remplacement de leurs censeurs.

Rappelons, en ce moment de l’histoire, que cette fidélité s’est encore manifestée lors de l’élection de Roger Dafflon au poste de Maire de Genève contre la coalition libérale et elle fit de même lors de l’élection au Conseil national de Jean Ziegler.

Ce même peuple va-t-il renier son glorieux passé?

Maxime Chalut recrue III/I/1932»

1 Charles Heimberg, Ed. GSsA, nov. 1992