"Une Suisse sans armée" n°42, été 99, p. 5

160 militaires suisses au Kosovo:

Swissc(owb)oy: au secours du Kosovo ou de l'armée?

"Interventionnite aigüe": il ne peut plus y avoir de doutes sur le diagnostic du virus qui affecte l'armée suisse depuis quelques années. Depuis la fin de la guerre froide, et de pair avec la construction de l`Union Européenne, les responsables de la politique de sécurité de la Suisse s'efforcent de montrer que la Suisse continue à être menacée de toutes parts et que l'armée joue encore un rôle fondamental dans la sécurité du pays.

Pour montrer que les conflits dans le monde menacent directement notre paisible pays, on sort l'armée des casernes pour l'envoyer là où notre sécurité est en danger: aux frontières pour freiner l'afflux de réfugiés, à l'intérieur et autour des camps d'accueil de ces mêmes réfugiés, devant les bâtiments diplomatiques, potentielles "cibles" des manifestants kurdes ou ex-Yougoslaves.

La décision d'envoyer un contingent de 160 militaires suisses pour participer aux opérations de la KFOR (Kosovo stabilisation force), s'inscrit dans cette volonté de réserver un rôle central à l'armée pour la "sécurité" de la Suisse. Notre "Monsieur sécurité" l'a affirmé clairement: avec cette intervention, la Suisse "doit montrer aux autres nations qu'elle n'a pas peur et prouver par sa participation toute l'absurdité de la loi militaire qui interdit à des soldats hélvétiques de se protéger à l'étranger" (Edouard Brunner, cité dans Le Temps du 16.6.99). Le but de l'opération est donc avant tout une opération de marketing, dans le but de redorer le blason de la Suisse à l'extérieur et pour accélérer à l'intérieur l'acceptation du "rapprochement avec l'OTAN" envisagé dans le nouveau rapport sur la politique de sécurité.

Cette opération de "marketing" de l'armée se fait aux dépens de l'aide, concrète et urgemment nécessaire, à la reconstruction, matérielle, sociale et politique du Kosovo. Avec 50'000 soldats de la KFOR, le Kosovo connaîtra une présence militaire encore plus nombreuse qu'au plus haut de l'occupation militaire serbe durant la guerre. On voit mal comment la présence de 160 soldats suisses pourrait constituer un apport utile aux besoins de la région. Les militaires suisses s'occuperont d'abord de construire leur propre camp; par la suite, ils veulent participer à la reconstruction des routes, des conduites d'eau, de gaz et d'électricité. Les spécialistes du Corps suisse d'aide en cas de catastrophes seraient beaucoup plus indiqués pour ce genre de travaux, mais ils ont plusieurs défauts, dont celui de dépendre du Département des affaires étrangères, et non pas du Département de la défense. Surtout, ils font leur travail de manière efficace et en engageant du personnel local, ce qui est forcément moins visible du tapage médiatique auquel on a droit en Suisse dès que des militaires portant une uniforme suisse se trouvent à l'étranger. Le travail du Corps suisse d'aide en cas de catastrophe est aussi beaucoup moins cher: en 1998, 274 engagements dans 46 pays ont coûté au total 27,3 millions de Frs. Par contre, la participation des 160 militaires suisses à la KFOR jusqu'à la fin de l'an prochain coûtera, elle, 55 millions. Le Département de la défense s'est donc attribué la part du lion de l'effort consenti par la Suisse pour la reconstruction du Kosovo (66 millions de Frs., sur les 116 millions accordés pour l'aide directe sur place). Pour les stratèges de la "politique de sécurité 2000", la campagne pour assurer un futur à l'armée également dans le prochain millénaire commence plutôt bien.

Tobia Schnebli