"Une Suisse sans armée" n°42, été 99, p. 23

Nouveau livre:

L'âge des casernes

En pleine saison de récolte de signatures, il est particulièrement revigorant de se plonger dans l'histoire du service militaire et de la conscription. Vouloir abolir l'armée et le service militaire est une bonne idée, mais pour la réaliser, il est utile de bien connaître les bases sur lesquelles ils reposent, et de bien comprendre les mécanismes qui ont conduit à la militarisation, non seulement des Etats mais aussi des populations. Ne serait-ce que pour éviter de se fourvoyer dans une argumentation non pertinente (la confusion armée/guerre, l'armée suisse n'étant qu'à usage interne), ou de mal évaluer les raisons qui font que la plupart des citoyens helvétiques restent attachés à «leur» armée.

A cet égard, le nouveau livre1 de Michel Auvray tombe à pic. Extraits de la jaquette du livre: «Plus qu'aucune autre institution, le service militaire fut objet de mythologies politiques, investi d'images qui l'ont ancré dans les moeurs. La caserne fut l'une des matrices de l'unité nationale, creuset complémentaire de l'école publique. Mais aussi symbole d'égalité, incarnation du régime républicain. Et consécration de virilité (...).

A la croisée de l'histoire sociale et de l'histoire culturelle, cet ouvrage retrace, pour la première fois, des origines à nos jours, les fonctions, perceptions et représentations de ce mode de recrutement - la conscription - de ce rite singulier. A la fois érudit et accessible, cet essai permet de comprendre les mutations d'aujourd'hui et leurs enjeux. Il ouvre à une réflexion sur la société de demain, celle où les jeunes des deux sexes découvriront l'âge adulte de la même manière».

Certes, Michel Auvray privilégie l'histoire du service militaire en France, et principalement la période qui va de la Révolution jusqu'à aujourd'hui, à l'armée de métier. Mais les autres pays (Suède, Prusse et Allemagne, Royaume Uni, Etats Unis, Russie/URSS, etc.) occupent plusieurs chapitres. Et l'influence (voire la fascination) du modèle suisse d'armée de milice(s) n'est pas oubliée - sait-on que Jaurès était un ardent défenseur d'une armée «à la Suisse»? Alors, «pourquoi ont-ils tué Jaurès»?.

C'est ce qui fait à mon avis l'intérêt et l'actualité de ce livre: Michel Auvray décortique tous les éléments qui donnent sens à l'armée («école publique de virilité et de civisme» selon Léon Blum), dans leurs composantes politiques, économiques, sociales, psychologiques, culturelles, alcooliques, pédagogiques, idéologiques, mythologiques, etc.

Quoi qu'il en soit, à l'heure où les armées «populaires» tendent à être remplacées par des armées de métier (prédominance de la technologie sur le matériau humain), et où les Etats ont de moins en moins besoin du service militaire pour éduquer les masses et assurer la cohésion nationale, il me paraît difficile de faire l'économie de ce livre.

J'en profite pour inviter celles et ceux que cela intéresse à se (re)plonger dans le premier livre2 de Michel Auvray, qui traite de l'insoumission.

Philippe Tonnelier

1 L'âge des casernes - histoire et mythes du service militaire, Michel Auvray, éd. de l'Aube, La Tour d'Aigues, 1998

2 Objecteurs, insoumis, déserteurs - histoire des réfractaires en France, Michel Auvray, éd. Stock, Paris, 1983

Prix: 43.-