"Une Suisse sans armée" n°42, été 99, p. 20

Armée à Genève:

Ça commence à bien faire!

Elle l'avait promis! La troupe d'environ 700 soldats devant surveiller les bâtiments «sensibles» quittera Genève dans les 4 mois. L'armée sera discrète et ne sera pas directement confrontée à la population en cas de trouble; c'est la police qui s'en chargera... Elle, c'est Martine Brunschwig-Graf, la dame du DAM, ministre genevoise du département des affaires militaires et... de l'instruction publique. Cette mascarade a assez duré!

Officiellement, la troupe devait quitter Genève ce 4 juillet. Malgré deux manifestations, une pétition largement soutenue et deux motions, acceptées par le parlement genevois, demandant le retrait immédiat de la troupe, l'armée occupe toujours Genève, et ce, vraisemblablement, jusqu'à l'an 2000.

Martine Brunschwig-Graf et son complice Gérard Ramseyer (ministre de la police à Genève) font la sourde oreille et obtiennent le feu vert du Conseil fédéral pour le maintien de soldats armés avec leur fusil d'assaut chargé de munitions de guerre et protégés par de nombreux rouleaux de barbelés. Quel spectacle pour les Genevois et les touristes!

Il faut, nous dit-on, protéger les ambassades des pays engagés dans le conflit dans les Balkans et se protéger des Kurdes, depuis l'arrestation du chef du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan) Abdullah Öcalan, servi sur un plateau à la Turquie par la CIA.

Dans cette logique militaire, policière et politique, je pense que nous devons garder définitivement l'armée à Genève. Des guerres existent (Inde-Pakistan, par exemple) et existeront. Des chefs politiques seront encore arrêtés et condamnés (Milosevic, par exemple). Tout compte fait, cela prouve à ce canton pacifiste et antimilitariste combien l'armée est utile et bienveillante. Somme toute, gardons-la, elle gêne si peu! Et puis on s'y habitue.

Et bien non!

Cette présence de l'armée n'est qu'une provocation et va une fois de plus à l'encontre des vrais problèmes et d'une résolution pacifiste et politique de ceux-ci. Les quelques escarmouches que Genève a connues ne justifient en rien cette inutile démonstration militaire. Nous avons la Genève internationale, la Genève de Paix et la Croix-Rouge. Il est bien normal que les opprimés puissent manifester et revendiquer publiquement dans cette ville symbole des droits humains.

Au moment de conclure cet article (8.7.99), j'apprend par un journal genevois que les militaires entament leur retrait de la cité du bout du lac... Il ne reste "que" 500 soldats sur les 700 depuis le 1er juillet. Puisque l'OTAN a mis fin à ses bombardements et que Milosevic a cessé ses exactions, les missions et ambassades des pays concernés ne demandent plus de protection spéciale. Et puis à certains endroits de la ville, ce n'est pas vraiment une belle image pour les touristes.

Mais attention, Öcalan a été condamné à mort. Après le passage en cour de cassation, c'est la commission juridique du parlement d'Ankara qui se prononcera, peut-être fin août. La cour européenne des droits de l'Homme à Strasbourg sera saisie d'un recours des défenseurs d'Öcalan. Ce tribunal aura besoin d'au moins un an pour statuer.

La voie est donc libre pour le maintien, même quelque peu réduit, de l'armée à Genève au-delà de l'an 2000. C'est une honte pour Genève et ses habitant-e-s, c'est un affront au peuple kurde. La poursuite de cette démonstration de force fait le jeu de la Turquie, qui exploite bien dans les médias les mesures suisses opposée aux "terrorisme" kurde! Ceci dit, si certains gardes du Palais des Nations sont reconnaissants des mesures prises par la Confédération, d'autres estiment ce dispositif disproportionné et concluent: «nous avons travaillé dans des endroits bien plus dangereux que Genève. Les barbelés et les soldats vont à contresens des efforts entrepris par notre institution pour promouvoir la paix des Nations.»

En guise de conclusion, signalons que la Suisse, en dépit de ses protestations officielles suite à la condamnation d'Öcalan, continue de livrer des armes à la Turquie! Business as usual, et repassez pour des excuses dans cinquante ans.

Luc Gilly