"Une Suisse sans armée" n°42, été 99, p. 22

On nous écrit:

Un cauchemar pour l'intelligence

Par quelle perversion de l'esprit un adjectif aussi noble que «pacifiste» est-il devenu péjoratif?

De belles âmes s'efforcent de proclamer haut et fort: «Je ne suis pas pacifiste», ce mot étant assimilé pour eux à la lâcheté, à la démission, à la honte.

En revanche, tous les chefs d'Etat, tous les militaires, tous les religieux revendiquent leurs actions comme étant au service de la paix oubliant parfois toutes les leçons du XXe siècle sur la guerre.

Les intellectuels ne sont pas en reste, en se démarquant du pacifisme, ils se disent «réalistes» pour rétablir, par la guerre, l'état de droit à l'encontre des purifications ethniques. Tous se réclament de l'adage: «Si vis pacem para bellum» avec pour résultat la guerre, toujours la guerre. Les pacifistes ne seraient, à leurs yeux, que des idéalistes. Seule l'action militaire, accompagnée par la diplomatie, serait réaliste.

Voire!

Si l'adjectif pacifiste devient inutilisable, faudrait-il le rayer du langage? Et par quoi pourrait-on le remplacer?

Toujours question de sémantique: on parle des criminels de guerre sans souligner que la guerre en elle-même est criminelle. On dit «guerre moralement juste» alors qu'on sait et qu'on voit toutes les injustices qui en découlent.

Bref, les va-t-en-guerre ont le vent en poupe. Chanter «Le Déserteur» de Boris Vian reste une insulte à l'égard de ceux qui nous ont délivrés du nazisme, alors qu'on «éduque» les Serbes sur les droits de l'homme en les bombardant copieusement. On leur inflige une leçon, qualifiée sans rire, de «morale». L'horreur devient dès lors «légitime».

On ne s'est pas encore aperçu que les principaux «dégâts collatéraux» sont ceux qui se produisent à l'égard de l'intelligence. Tout se passe comme si on avait annulé le siècle qui se termine. C'est un nouveau révisionnisme.

Après le Kosovo, quelle sera la prochaine orgie militaire? Pour ma part, prêt à essuyer les foudres de ceux qui me diraient «irresponsable», je revendique, en tant qu'ancien combattant, le pacifisme et son corollaire, l'antimilitarisme absolu, sans prétendre comme d'aucuns, avoir le «monopole du coeur».

René Cruse