"Une Suisse sans armée" n°42, été 99, pp. 6-7

Armée XXI ou Armée XXL?

Ça bout sous les casquettes!

Nouveaux F/A-18, professionnalisation de l'armée, dépenses militaires, interventions humanitaires, les militaires n'ont pas chômé ce printemps. Un nouveau rapport sur la politique de sécurité (RAPOLSEC 2000) vient de sortir des cerveaux féconds des galonnés et a été présenté au Parlement par le Conseil fédéral. Ce rapport sera discuté aux Chambres fédérales en décembre 1999.

«La sécurité par la coopération». Tel est le nouveau mot d'ordre de la politique suisse en matière de défense et de protection de la population. L'armée défendra la population au sens large, en assurant la dissuasion militaire, en assistant les autorités civiles en cas de catastrophe, mais aussi en intervenant pour la paix à l'étranger. La définition des menaces pour la Suisse est plutôt floue. Ainsi, des groupes terroristes pourraient s'emparer des États et de leurs armes de destruction massive. Les menaces sont les extrémismes, les guerres technologiques contre les communications informatiques, les guerres chimiques, les troubles sociaux causés par la répartition inégale des richesses, etc. Soit! Mais une armée ne peut rien contre ces menaces. Pire, elle donne une illusion de sécurité et empêche de trouver d'autres solutions, pour agir sur les causes potentielles de conflits avant qu'ils n'éclatent.

La Suisse ne disposera pas de Casques bleus, comme le peuple l'a refusé en 1994. Cependant, la Confédération participera davantage aux opérations militaires sous l'égide d'organisation de sécurité internationales. On connaît déjà le Partenariat pour la Paix (PpP) avec l'OTAN, qui permet à la Suisse de participer à des exercices internationaux et qui facilite l'échange entre les armées, sans parler de l'achat d'armement OTAN-compatible. Désormais, la Suisse coopérera aussi avec l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).

Comme avant-goût de ce que pourraient être les interventions de demain, cent soixante soldats (sic) participeront dans deux mois à la «Swisscoy» au Kosovo. Il s'agit d'une troupe de soutien logistique, qui assistera et sera sous la protection d'un bataillon autrichien intégré au contingent allemand (qui compte, lui, 8'500 hommes). La majorité des soldats n'aura pas d'armes, et certains ne disposeront que de leur arme personnelle. Ils assureront l'approvisionnement en eau potable, la construction de routes et de ponts, le ravitaillement et l'aide sanitaire. Ces militaires sont des volontaires et recevront un véritable salaire. Les Suisses ne seront pas sous commandement étranger et ne participeront pas au maintien de l'ordre. Ils s'ajouteront aux 65 hommes de l'opération Alba, qui amènent l'aide humanitaire en Albanie et au Kosovo avec leurs hélicoptères Super-Puma.

Professionnalisation par la petite porte?

L'armée de milice n'est pas enterrée. Cependant, ce rapport préconise plusieurs pistes. En premier lieu, les soldats prêts à intervenir à l'étranger pourraient effectuer leur service militaire de dix mois en une seule traite.

Après 6 mois de préparation, les jeunes Suisses partiraient 4 mois en intervention à l'étranger. Ce système sera testé par mille recrues dès l'an 2000. Le système pourrait être étendu à d'autres types d'engagements par la suite. Le monde économique applaudit, non pas par altruisme, mais parce que le système dépassé des cours de répétition pose de gros problèmes lorsque les employés et les cadres partent perdre leur temps pendant trois semaines.

En outre, cent vingt gradés seront engagés pour les écoles de recrue de cet été. En plus de leur service ordinaire, ceux-ci encadrent des écoles en étant au bénéfice d'un contrat de droit privé pour six mois. Ils seront nourris, logés, au bénéfice de l'assurance militaire, etc. Ce système sera testé jusqu'à fin 2000 en tout cas. À terme, ce sont des contrats de 4 à 5 ans qui pourraient être signés.

La politique suisse se distingue par la lenteur de son processus de décision. Pourtant, 10 ans après le vote du 26 novembre 1989 sur l'initiative «pour une Suisse sans armée», l'évolution de l'armée suisse est énorme. Le pari de Kaspar Villiger, alors ministre de la défense, qui voulait moins de graisse et plus de muscles avec la réforme Armée 95, est en passe d'être gagné. L'armement est de plus en plus sophistiqué, les unités professionnelles ou semi-professionnelles font leur apparition, et surtout le blason de l'armée est redoré et son image est bien meilleure, grâce aux tâches de soutien à la population. L'on peut aussi citer les 600 hommes protégeant les bâtiments diplomatiques, les tâches de surveillance des frontières et des centres de réfugiés, etc. Pour l'armée, cet engagement en cas de catastrophe est minime par rapport au reste, mais l'impact sur la population est énorme. Pourtant, avec un équipement et des moyens financiers adéquats, des civils peuvent parfaitement remplir ces rôles dont l'armée se gargarise!

Réduction des dépenses?

Le peuple suisse a récemment accepté l'objectif budgétaire 2001, qui prévoit que les finances publiques devront être redressées d'ici deux ans. Ainsi, le ministre des finances Kaspar Villiger réclame 900 millions d'économies pour l'an 2000. Pourtant, les militaires sont toujours aussi voraces.

L'opération Swisscoy au Kosovo coûtera 54,8 millions. Les contrats des gradés effectuant un service supplémentaire pour les écoles de recrues ajouteront 6 millions à la facture. Pire, les soldes et les Allocations Perte de Gain de tous les militaires augmenteront de manière substantielle. L'armée espère ainsi inciter les soldats à grader, leur enlevant l'argument financier pour refuser. Coût: 21 millions.

Le budget militaire n'a paraît-il jamais été aussi bas. Pourtant, on parle d'acheter jusqu'à 12 nouveaux F/A-18 pour remplacer les vieux Mirages. Coût: plus de 100 millions pièce. Les dépenses seront réparties sur plusieurs années, et d'autres achats seront différés. Les militaires font grise mine. Cependant l'on se souvient que les partisans de l'avion affirmaient, lors du vote de 1993, que les 34 avions en question suffiraient. L'appétit des militaires n'est pas une nouveauté, pourtant on se refuse de tirer les leçons du passé. Pour mémoire, une partie des chars Léopard, achetés à grand fracas dans les années 80, est déjà au rencart. La réduction des effectifs a rendu en effet inutile une partie de ces jouets de luxe.

Deux poids, deux mesures

L'un des arguments qui ont fait mouche lors des votations de juin sur l'assurance-maternité était que le financement n'était pas assuré. Le service civil doit coûter le moins cher possible, quitte à en sous-traiter la surveillance à des privés. L'heure est aux restrictions budgétaires et aux vaches maigres. Cependant, pour redorer le blason de l'armée et pour faire plaisir à un quarteron de galonnés rêvant d'intervenir, sur pied d'égalité, avec les militaires d'autres pays qui paradent sur le théâtre des guerres, on ne rechigne pas à la dépense. Pas une voix ne s'élève contre cette situation, qui ne profite finalement qu'à très peu de monde, mais dont le coût est supporté par la totalité des habitantes et habitants de ce pays, bébés, femmes et étranger-e-s compris!

Le projet «Armée XXI» de réforme de l'armée devrait être rebaptisé «Armée XXL», en raison de son aspect toujours surdimensionné. Il est bien temps de l'abolir!

Sébastien L'haire