"Une Suisse sans armée" n°42, été 99, pp. 4-5

Armée suisse:

L'armée comme solution à tout? Non merci!

Entre OTAN, neutralité et tâches de police, l'armée suisse se cherche une nouvelle légitimité.

Il y a une similitude évidente entre l'OTAN et l'armée suisse, malgré la disproportion énorme des moyens et du rayon d'action de l'une et de l'autre organisation militaire. Après la fin de la guerre froide, les deux armées se cherchent une nouvelle légitimité en élargissant et en multipliant les «interventions» en tout genre. Les conséquences de cette tendance sont très graves: le recours toujours plus fréquent aux armées pour «gérer les crises» nationales et internationales (violations des droits humains, conflits ethniques, catastrophes écologiques, «urgences humanitaires» de toutes sortes) réduit encore plus les espaces de l'action politique, déjà malmenée par la déréglementation néo-libérale.

La chute du mur de Berlin, le vote de plus d'un million de Suisses favorables à l'abolition de l'armée et la «grande peur» face à la forte opposition à l'achat des F/A-18, ont convaincu les dirigeants politiques suisses de la nécessité de trouver de nouvelles tâches et une nouvelle organisation pour l'armée. Sans les réformes qu'ils mijotent depuis le début des années 90, ils savent qu'ils ne pourraient plus continuer à «vendre» le maintien d'une institution militaire coûteuse (9 milliards de francs en 1998) à une opinion publique qui n'en comprend plus l'utilité. L'armée fait aussi le forcing en matière d' interventionnisme. Un bref rappel suffira pour s'en convaincre:

Le prétexte évoqué pour justifier toutes ces interventions est que les moyens civils ne sont plus en mesure de faire face à des «situations d'urgence». Pour chacune de ces situations on a décidé d'engager l'armée au détriment d'autres moyens, souvent beaucoup plus sensés et moins coûteux. A part l'aspect inadmissible de la militarisation de domaines civils, il faut contester aussi l'argument économique souvent évoqué pour justifier les interventions de l'armée.

Pourquoi ne pas engager des gens sur place au lieu d'envoyer des militaires suisses pour réparer les véhicules, distribuer la poste et assurer les soins médicaux au personnel de l'OSCE en Bosnie?

Pourquoi maintenir le blocage du personnel de la Confédération qui empêche d'engager de nouveaux douaniers? Pourquoi ne pas engager du personnel qualifié pour l'accueil des réfugiés ou pour la surveillance des missions diplomatiques? Les militaires utilisés à la place des civils n'accomplissent pas gratuitement leur service: la moyenne des compensations de salaires versée aux militaires est au moins égale sinon plus élevée des salaires du personnel qu'il faudrait embaucher.

L'impact des bombes sur la discussion en Suisse

Les bombardements de l'OTAN sur les Balkans arrivent dans un moment crucial pour le futur de la «politique de sécurité» de la Suisse. Jusqu'à présent, le débat a eu lieu uniquement entre «traditionalistes» et «modernistes». Les premiers (dont l'influence était en déclin) restent attachés à la défense isolée, au système de milice et à la neutralité traditionnelle (celle qui évite de s'engager pour qui ou quoi que ce soit, mais qui permet de continuer les affaires avec tous). Les deuxièmes sont favorables, sinon à l'adhésion à l'OTAN, du moins au renforcement de la collaboration avec les puissances occidentales en matière militaire. Ils soutiennent la professionnalisation de parts importantes de l'armée et sont pour une neutralité «flexible» (rester neutres ou pas, selon ce qui convient le mieux aux milieux dirigeants suisses).

Avec sa suite de catastrophes humaines, politiques et diplomatiques, l'intervention de l'OTAN en Bosnie a donné un nouvel élan à la droite isolationniste de Blocher et elle a posé des obstacles imprévus aux projets des «modernistes» les plus ambitieux. Le projet de révision de la loi militaire, mis en consultation par le département de la Défense à la fin de janvier de cette année pour le faire approuver par les Chambres fédérales encore en juin, a pris du plomb dans l'aile. La droite isolationniste a déjà décidé un préavis de référendum et le projet a été aussi fortement critiqué par les organisations pacifistes et par une partie du Parit Socialiste Suisse (PSS).

A gauche et particulièrement dans le PSS, la division sur la guerre dans les Balkans s'ajoute à l'absence de réflexions et de projets clairs en alternative aux réformes en cours en matière de politique de sécurité. Pour ne pas faire le jeu de Blocher, Andreas Gross et d'autres socialistes avaient décidé d'approuver le «renforcement de la collaboration» avec l'OTAN postulée dans le rapport de la commission Brunner. Ce sont les mêmes qui approuvent aujourd'hui les bombardements de l'OTAN en Yougoslavie. Ils sont favorables à une réduction des coûts de la défense militaire, mais dans la substance ils préfèrent laisser faire les «modernistes».

Les initiatives du GSsA doivent aboutir

Heureusement que le tableau n'est pas complètement noir: il existe aussi des gens qui travaillent au développement des alternatives civiles et solidaires à la politique de sécurité militarisée. Nous sommes en train de récolter les 12'000 signatures qui nous manquent pour les deux initiatives du GSsA. Pour qu'une véritable alternative civile, politique et solidaire puisse voir le jour.

Tobia Schnebli