"Une Suisse sans armée" n°41, printemps 1999, p. 11

Guerre dans les Balkans:

Pas d'autres choix que les bombardements?

Selon une opinion largement répandue, l'intervention de l'OTAN en Yougoslavie s'imposait parce que tous les autres moyens mis en uvre pour empêcher les violations des droits humains au Kosovo avaient montré leur inefficacité. En tant que mouvement pacifiste et antimilitariste, le au GSsA estimons que l'inefficacité prétendue ou réelle des moyens non militaires pour la gestion des conflits découle de choix politiques. La communauté internationale privilégie les instruments militaires pour la «gestion des crises», au détriment des interventions civiles qui souffrent d'un manque évident de ressources matérielles et humaines. Les résultats de ces choix sont actuellement particulièrement dévastateurs en ce qui concerne non seulement le Kosovo et la Yougoslavie, mais l'ensemble de la région des Balkans.

Impressions d'un observateur de l'OSCE au Kosovo

La rédaction d'Une Suisse sans Armée a pu contacter un membre (dont nous taisons le nom) de la mission de vérification au Kosovo (KVM) de l'OSCE. Nous lui avons demandé quelques impressions sur la mission qui s'est terminée quelques jours avant le début des bombardements de l'OTAN. Voici son récit:

«Commençons par la fin. Samedi 20 mars, la totalité de la mission avait été évacuée en Macédoine, avec le quartier général logé à l'hôtel Alexander de Skopje (celui où avaient eu lieu les manifestations anti-occidentales - OTAN+OSCE - des tous premiers jours des bombardements) et tous les autres membres logés dans des hôtels aux abords du lac Ohrid, à la frontière sud-est avec l'Albanie et non loin de la Grèce. Cette période de vacances forcées a permis aux membres de la mission d'échanger des informations et des impressions sur plusieurs aspects de la mission effectuée dans les différentes localités et sites particulières du Kosovo. En même temps commençaient les bombardements de l'OTAN sur la Yougoslavie et l'exode des réfugiés depuis le Kosovo vers les pays limitrophes. Enfin, le vendredi 26 mars, l'OSCE décidait le retrait de la majorité de ses membres (environ 1600 personnes au total, 400 de moins que le nombre maximum prévu initialement dans les accords de fin octobre). Un contingent de 250 personnes fut laissé en Macédoine comme unité de base, pour réactiver, dès que la situation l'aurait permis, le retour de l'OSCE au Kosovo. Cette future mission, appelée Kosovo Implementation Mission (KIM), aurait des tâches différentes, plus civiles que militaires, portant sur les droits humains, la reconstruction, l'organisation d'élections, la démocratisation du système politique et des forces de police.

Il est clair que les impressions et les attentes des 1600 membres de la mission étaient fort différentes entre elles, notamment en raison des backgrounds différents de chacun (civil et universitaire pour les uns, militaire ou policière pour d'autres) et des expériences différentes vécues sur le terrain. Malgré cela on peut distinguer certains points qui ont été particulièrement discutés:

Prédominance militaire

«Par rapport à l'organisation, il y a deux aspects souvent mentionnés: le premier concerne le "mariage" décidément peu heureux entre partie civile et partie militaire, avec une domination de cette dernière en termes de postes à responsabilité (occupés par des militaires), et de la priorité, par exemple, de l'observation des déplacements des troupes yougoslaves au détriment de l'observation des violations des droits humains. Le deuxième aspect concerne l'attribution quasi systématique des postes à responsabilité à des Américains et à des Anglais (presque toujours des militaires), ainsi que la rivalité entre les pays membres dans le placement de leurs propres "poulains" aux meilleures places. Le résultat, prévisible, était de retrouver des personnes incompétentes à des postes importants (en raison de leur nationalité) et des personnes compétentes aux mauvais endroits.

La manipulation des données sur les violations des droits humains a été telle qu'elle a conduit certaines personnes (comme le ministre de la défense britannique Robertson) à parler de génocide et crimes contre l'humanité, sans savoir exactement combien de personnes avaient été tuées et par qui. L'opinion générale était que, à part la grosse exception du massacre de Raçak (45 Albanais tués), il n'y avait pas eu d'exécutions de masse au Kosovo. Par contre on a pu constater que le nettoyage ethnique des villages autour des bastions de l'UçK avait déjà commencé (en particulier dans les régions de Kacanik au Sud et de Podujevo au Nord, vers la fin de la période d'engagement de la mission).

L'OSCE est constituée de tous les pays européens plus les USA, le Canada et la Turquie pour un total de 50 pays, dont 19 sont membres de l'OTAN. Théoriquement l'OSCE est une entité politique complètement indépendante et autonome. Malgré cela, dès les premiers jours de notre encadrement, on nous a signalé que l'OSCE devait coopérer le plus possible avec l'OTAN. A la fin de la mission, plusieurs d'entre nous avaient la déplaisante impression d'avoir accompli un travail de renseignement pour l'OTAN en lui transmettant les informations récoltées par les patrouilles de l'OSCE sur la quantité, le type et la localisation des troupes yougoslaves (armée et police) au Kosovo. Ces informations ont été ensuite utilisées, avec les images par satellite, pour les bombardements. L'OTAN a voulu clairement laisser de côté toute initiative de l'ONU afin d'éviter des vetos probables au Conseil de sécurité et pour pouvoir ainsi agir en toute liberté (comme cela avait déjà été fait lors de la deuxième guerre du Golfe). L'inutilité des bombardements aériens sans intervention terrestre pour empêcher le nettoyage ethnique opéré par les forces yougoslaves est tout aussi évidente. Mais cela comporte un risque de pertes humaines importantes qu'actuellement aucun gouvernement (USA en tête) ne semble vouloir assumer.»

Nous laissons cette conclusion à son auteur. Il n'en reste pas moins évident que le potentiel d'interventions civiles, telles que celles de l'OSCE, n'a pas été exploité de manière appropriée au Kosovo.

Aujourd'hui les bombardements de l'OTAN n'empêchent ni nettoyage ethnique, ni exactions en tous genre, ni combats entre UçK et armée yougoslave. Les conditions indispensables au processus de solution pacifique globale dans les Balkans sont: un cessez-le-feu immédiat, l'arrêt des bombardements et le déploiement d'une force internationale d'interposition (sous l'égide de l'ONU), dotée d'une importante composante civile, ainsi que la démilitarisation de toutes les forces présentes dans l'ensemble de la région.

Propos recueillis par Tobia Schnebli