"Une Suisse sans armée" n°40, hiver 1998, p. 15

Droits humains:

Cinquante ans de galère?

Nous "fêtons" ce mois-ci le cinquantième anniversaire des Droits de l'Homme. Cette charte est malheureusement loin d'être appliquée. Elle revendique le droit à une existence digne pour tous les êtres humains. Si l'on connaît généralement les articles 5 et 9 contre la torture et la détention arbitraire, les autres aspects sont méconnus. Ainsi, les femmes sont discriminées dans tous les pays. On leur refuse les droits politiques et sociaux. Dans nos pays industrialisés, elles n'ont pas de salaire égal et sont sous-représentées au niveau politique. Elles ont un statut inférieur dans de nombreux pays. Elles ont un taux d'analphabétisme bien plus élevé que les hommes. Il est d'ailleurs significatif que la version en français de cette charte conserve le terme de «Droits de l'Homme» tiré de la «Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen» de 1789. En anglais, on parle de human rights, en allemand de Menschenrechte, des appellations neutres. C'est pourquoi nous tentons d'instaurer la formule équivalente de droits humains ou droits de la personne.

Une part significative des habitants de la planète, si ce n'est la majorité, n'ont pas de revenus suffisants pour vivre. La torture reste monnaie courante dans de nombreux États. L'analphabétisme frappe encore une grande partie des pays pauvres. Pourtant, une bonne éducation est le premier pas de l'élévation sociale et de la sortie du cercle vicieux de la pauvreté. De nombreux êtres humains ne peuvent exprimer leurs croyances religieuses et leur opinion politique librement.

Cette charte est présentée dans le préambule comme un «idéal à atteindre» progressivement pour les États. Il nous semble au contraire qu'il s'agit d'un minimum. Rien n'est révolutionnaire dans cette déclaration. La planète peut par exemple aisément nourrir les six milliards d'humains qui la peuplent. L'accès à l'éducation est réalisable partout. Par son biais, on peut espérer une conscience écologique et un arrêt de la progression démographique effrénée de certains pays, bien plus qu'avec des diktats imposés d'en haut.

Certains pays qui violent allègrement les droits humains arguent que cette charte n'est pas universelle et se centre sur des valeurs occidentales. Certes, la démocratie et l'égalité sont issues de la Grèce antique d'abord, puis des grands penseurs du XVIIIe siècle comme Voltaire, Montesquieu et Rousseau. Mais le monopole du pouvoir et des richesses par quelques uns n'est pas acceptable et ne peut être justifié par une exception culturelle. Au Moyen-Âge, l'Europe connaissait l'esclavage et vivait sous la féodalité. Un changement est né de la Révolution française de 1789, puis des révolutions au cours du XIXe siècle pour aboutir aujourd'hui à des principes qui ne sont plus contestés par personne. Non, décidément, aucune tradition n'est immuable!

En conclusion, mentionnons encore que la peine de mort n'est pas explicitement exclue! L'article sur la torture condamne également les traitements inhumains et dégradants. Mais comment peut-on qualifier autrement la peine capitale? Il est clair que de nombreux États l'appliquent, dont trois des cinq pays siégeant en permanence au Conseil de Sécurité de l'ONU (USA, Chine et Russie). Le chemin vers l'application effective des Droits humains est encore long...

Sébastien L'haire