"Une Suisse sans armée" n°40, hiver 1998, pp. 10-11

Asile:

L'armée pour accueillir les réfugiés de la violence

Depuis plus d'une décennie, la Suisse a durci sa politique d'asile. La loi sur l'asile a subi de nombreux changements sous la pression de la droite dure et de l'extrême droite. Les portes se sont refermées et les mesures de vexation sont nombreuses. Dernière trouvaille des autorités fédérales: l'appel à l'armée.

Contrairement aux idées reçues, la situation des requérants d'asile en Suisse est loin d'être enviable. À leur arrivée en Suisse, les requérants doivent se faire enregistrer dans un des quatre centres officiels. Les mesures urgentes et la dernière mouture de la loi sur l'asile, sur lesquelles nous devrons voter suite à un référendum, prévoient entre autres que les réfugiés doivent présenter des papiers en règle. Dans les centres d'enregistrement, les requérants subissent ensuite un interrogatoire serré. Enfin, s'ils ne sont pas admis comme réfugiés, on peut les enfermer en attendant leur refoulement, en vertu des mesures de contrainte. On peut rêver d'un meilleur accueil!

Le centre d'enregistrement de Genève a connu une telle affluence, suite au conflit en Kosove, que des réfugiés se sont trouvés à la porte. Les autorités fédérales ont fait montre d'un mépris inqualifiable, en laissant le soin aux organisations d'entraide de leur trouver un abri.

L'armée intervient

Depuis un certain temps circule avec insistance l'idée d'employer l'armée contre les réfugiés, pour surveiller la frontière. Un dispositif datant de 1992 prévoit le recours à la protection civile au-delà de 6000 demandes par mois, et à l'armée au-delà de 10 000. Aujourd'hui, il n'y a pas plus de 5000 demandes par mois. Malgré cela, depuis le 9 novembre, 64 soldates et soldats surveillent un cantonnement dans le canton de Berne, armés seulement d'un spray à poivre. Cette nouveauté dans la politique d'asile a été avalisée pour une durée de six mois par les chambres fédérales. Mais ce geste n'est pas sans conséquences.

Les soldats sont plutôt contents de se rendre utiles. Formés pour l'internement de soldats étrangers, ils ont pu faire un exercice réel. Aucun incident n'a été à déplorer. Une soldate a même avoué que cet exercice lui avait ouvert les yeux sur les réalités des réfugiés et avait dissipé ses préjugés. Cependant, la troupe avait pour instruction de garder ses distances avec les réfugiés. S'ils étaient trop permissifs, la situation deviendrait ingérable.

Traumatisme supplémentaire

C'est au niveau symbolique que cet exercice a fait des dégâts. Les soldats sont en treillis, même s'ils ne portent pas d'armes. Pour éviter des bagarres, une fouille a lieu après chaque rentrée dans le centre d'hébergement. Face à l'uniforme, les enfants kosovars prennent tout d'abord peur, croyant que ce sont des soldats serbes. Quant à leurs parents, ils ressentent mal la surveillance et les fouilles continuelles. Cette militarisation de la politique d'accueil des réfugiés est inacceptable!

Des psychiatres ont essayé de tirer la sonnette d'alarme. En temps normal, les réfugiés arrivent avec des traumatismes psychologiques. Quand ils n'ont pas subi des violences, ils ont quasiment tout perdu, dû laisser de la famille sur place etc. L'interrogatoire ressemble fortement à un interrogatoire policier et stresse grandement les réfugiés. A cela s'ajoute maintenant un accueil par des militaires pour ces réfugiés de la violence. Tout est finalement fait pour que le moins de réfugiés possible tentent leur chance chez nous.

À quoi servent ces soldats?

Reste encore la question de fond: quel besoin impératif justifie que des soldats interviennent? En effet, face à une attaque armée d'activistes d'extrême droite, le spray au poivre n'est pas d'un grand secours. La gendarmerie seule est habilitée à intervenir en cas de problème grave. Le risque d'instauration de trafics à l'intérieur du centre ne justifie pas non plus la présence de l'armée. De plus, pourquoi utiliser les tenues de camouflage?

La situation est loin d'être critique. Si les centres sont débordés, c'est avant tout dû à une procédure tracassière, ainsi qu'au manque délibéré de moyens financiers pour l'encadrement et l'hébergement des réfugiés. Si des gens devaient être mobilisés, ce sont bien des civilistes, qui peuvent, doivent et ont intérêt à donner plus de temps qu'un simple cours de répétition. Des demandeurs d'emploi qualifiés dans le travail social seraient également davantage utiles que ces militaires. Une lettre a bien été envoyée à tous les civilistes, mais trop tard, alors que de nombreuses voix, dont celle du GssA, le réclamaient depuis le début.

Pourquoi d'ailleurs ne pas imaginer un corps spécial de civilistes mobilisables dans un laps de temps très court et formé pour intervenir avec des réfugiés, en Suisse comme ailleurs? Rappelons que les civilistes peuvent déjà partir avec le corps suisse d'aide en cas de catastrophe. L'initiative «pour un service civil pour la paix» lancée par le GSsA permettrait tout à fait la création de tels corps1.

Pour l'instant, les chambres fédérales ont décidé d'avaliser le recours à la troupe pour une durée de six mois, soit jusqu'au mois de mai 1999. Si le Conseil fédéral souhaite prolonger l'opération, il faudra qu'il revienne avec de nouvelles propositions.

Dans cette affaire, on est pris d'un certain malaise. L'armée se cherche des justifications. Le problème des réfugiés est bien trop grave et délicat pour être ainsi traité à la légère!

Sébastien L'haire

1 Autre problème qui apporte de l'eau à notre moulin: l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe aurait besoin de 50 observateurs suisses non armés, suite aux négociations menées face à Milosevic. La Confédération peine à trouver des volontaires, vu que les militaires rêvent plutôt de partir armés.


Motion au parlement genevois

Pour l'ouverture de la caserne des Vernets aux requérants d'asile avec du personnel encadrant civil.

Mi-octobre 1998, au moment où un grand nombre de requérants arrivait à Genève, j'ai déposé, avec 8 autres député-e-s, une motion urgente. Celle-ci demandait que les autorités ouvrent la caserne (proche du centre d'enregistrement des requérants d'asile  CERA) aux nombreux requérants qui, faute de place dans les lieux d'accueil prévus, devaient occuper les abris souterrains de la protection civile. Nous avons demandé également que le personnel nécessaire soit en priorités composé de chômeuses/eurs (assistant-e-s sociales/aux, infirmier-e-s, cuisinier-e-s, gardes de nuit etc.). Ce personnel pourrait être renforcé par des jeunes acceptés au service civil. En clair, il s'agit de renoncer à l'engagement de la troupe. Cette motion a été acceptée! Mais... pour des raisons de travaux à la caserne, ce n'est pas possible pour le moment.

Luc Gilly