"Une Suisse sans armée" n°40, hiver 1998, p. 3-5

AG du GSsA le 22 novembre 1998:

Lors de notre assemblée, nous avons réclamé une politique de paix et de sécurité solidaire et non isolationniste. Nous avons donc débattu des possibilités de soutenir les actions de maintien de la paix à l'étranger par des moyens civils et non militaires.

Au lieu de «promenades» militaires à l'étranger, la Suisse doit s'engager pour la paix par des actions civiles, comme par exemple l'organisation CORSAM, qui cherche à faire respecter les accords de paix au Chiapas (Mexique). Les discussions officielles sur un engagement de l'armée au Kosovo ont montré que l'armée suisse a plus besoin du Kosovo que l'inverse, pour se justifier. L'aide internationale à la paix doit être une coopération civile.

Nous avons récolté plus de 65'000 signatures pour nos initiatives (voir l'appel en p. 5). L'AG s'est prononcée à l'unanimité pour le soutien à l'initiative populaire en faveur de l'adhésion de la Suisse à l'ONU. En fin de journée, nous avons voté également une résolution contre Augusto Pinochet.

Un bilan de la récolte après huit mois

Avec le lancement de ces deux initiatives nous voulons contribuer à un changement de fond par rapport à la sécurité et aux illusions qu'on peut la garantir avec des moyens militaires, en Suisse et ailleurs. Pour cela, il faut essayer de comprendre ce qui se passe dans la tête des gens; comment réagissent les personnes à qui nous demandons deux signatures et qui ne sont pas membres de commissions de réformes stratégiques, et qui n'écrivent pas des programmes de parti ou des éditoriaux dans les journaux importants. Car les changements doivent se faire dans les têtes des gens. Finalement, ce sont eux qui iront voter.

Alors je vais proposer une petite analyse en me basant sur les 50 ou 60 actions de récolte auxquelles j'ai participé en Romandie et au Tessin. Elle est personnelle et j'aimerais bien entendre vos impressions pour confirmer ou corriger cette analyse.

Il me semble qu'en gros on peut diviser en trois groupes principaux les réactions face à nos initiatives:

  1. les convaincu-e-s (les personnes qui signent sans problème);
  2. les indécis-e-s (les personnes qui disent «je ne sais pas bien»: certaines signent après une discussion, d'autres pas, peut-être seulement l'initiative SCP);
  3. les accroché-e-s à l'armée (avec ces personnes on peut parfois discuter, mais juste pour le goût du débat et avec le coin de l'oeil on contrôle s'il n'y a pas une autre personne plus susceptible de signer qui s'approche).

Dans le premier groupe on trouve beaucoup de jeunes; ceux qui signent presque instinctivement, ce sont les jeunes hommes entre 18 et 30 ans qui sont touchés d'une façon ou de l'autre par l'armée (soit ER soit exclus de l'armée mais qui payent la taxe militaire,SC); puis il y a aussi tous ceux et celles qui vivent en peu en marge du système dominant (culturellement, économiquement, socialement), et enfin, il y a une bonne majorité des gens qui forment l'électorat de la gauche (PS, Verts). Avec ces gens, il est très bien de montrer qu'il y a encore quelqu'un qui propose une politique vraiment alternative comme l'abolition de l'armée et des projets nouveaux comme le SCP. C'est vrai que, parfois, les plus «raisonnables» ou «réalistes» nous disent: «Mais vous pensez vraiment que vos initiatives vont changer quelque chose?» Pour les convaincre, il suffit souvent de répondre que si l'on laisse faire M. Ogi et ses réformateurs, les changements vont tendre vers une armée professionnelle, intégrée dans l'OTAN et tout aussi coûteuse que l'actuelle.

Mais c'est surtout chez les jeunes qu'on aperçoit nettement le décalage qu'il y a entre les discours officiels sur les réformes dans le système militaire et la réalité, comme elle est vécue à l'armée, ou les énormes difficultés, voire l'impossibilité d'être admis au Service Civil. Les procédures d'admission deviennent de plus en plus strictes, et l'on commence à condamner à nouveau des jeunes pour refus de service à des peines très lourdes (8-12 mois de prison!). A ce niveau, il me semble qu'il y aurait vraiment des possibilités de faire monter une mobilisation de protestation, également en dehors des voies institutionnelles.

Dans le deuxième groupe, celui des personnes indécises, il y a ceux et celles qui disent: «réduire oui, mais abolir complètment l'armée, peut-être pas, parce que il y a quand même des choses utiles; on ne sait jamais; en tout cas l'armée peut servir pour l'aide en cas de catastrophes», ou qui disent «oui, une armée de volontaires, comme en France, ça je serais d'accord». Beaucoup réagissent ainsi. Il y a pas mal de conformisme et de lieux communs qu'il faudra faire tomber, du style «je suis pour la liberté pour tout le monde: moi je n'aime pas l'armée, mais je ne veux pas empêcher ceux qui veulent pouvoir la faire». Aux gens qui me disent cela, je réponds que moi aussi je suis pour la liberté de tout le monde, mais avec des moyens égaux pour tout le monde; une personne avec des armes est 1000 fois plus «libre» d'imposer sa volonté face à quelqu'un qui n'est pas armé. Les personnes de ce groupe sont beaucoup plus nombreuses que celles à qui nous parlons lors des récoltes de signatures. Pour les atteindre, il faudrait développer un large débat public.

En ce qui concerne le troisième groupe, il y a d'un côté les accrochés à l'armée suisse, à la «neutralité armée forte et crédible», mais leur nombre diminue par rapport à 1989. Enfin, il y a les enthousiastes de la défense européenne, ceux pour qui l'ouverture de la Suisse passe par l'envoi de militaires suisses partout où pourrait se présenter l'occasion, pour enfin être considérés «comme les autres». Ils ne sont pas encore très nombreux, mais leur nombre augmente. Surtout, ils sont très présents dans les médias «intelligents» et dans les commissions qui comptent. Ce sont eux qui dominent le débat actuel sur le changement de la politique de sécurité et sur les réformes de l'armée.

C'est aussi la raison pour laquelle il me semble que nos deux initiatives sont plus que jamais nécessaires. Dans la discussion actuelle, notre point de vue, pour la priorité absolue de l'engagement solidaire avec des moyens civils, est pratiquement ignoré. Le Département de M. Ogi n'a pas tenu compte de nos critiques au rapport Brunner, ni d'ailleurs de celles formulés par le PSS, qui est pourtant l'un des quatre partis au gouvernement. Donc il est vrai que le principal moyen que nous avons pour que l'approche non militaire pour la sécurité soit finalement admise à cette discussion, c'est de faire aboutir nos initiatives.

Après 8 mois de récolte de signatures, nous avons juste passé le cap de la moitié des signatures nécessaires (115-120'000). Ce n'est pas mal, mais nous devrions vraiment essayer de ne pas nous arrêter en si bon chemin. Partout, et dans toute la Suisse romande aussi, il y a encore un grand nombre de signatures à faire. Il est évident que dans les cantons où nous avions des groupes régionaux actifs avant le lancement des initiatives, nous avons de meilleurs résultats. Si nous avons un tableau qui n'est pas trop déséquilibré en Suisse romande, c'est aussi grâce aux gens nouveaux qui ont commencé ces derniers mois à récolter pour la première fois pour des initiatives du GSsA. Pour arriver à 80'000 ou plus signatures à la prochaine assemblée du mois de mars, nous devrons organiser encore plusieurs récoltes, trouver des gens, être à la bonne place où il y a du monde bref, il faut y aller, mais je suis persuadé qu'ensemble, nous y arriverons.

Texte de l'intervention de Tobia Schnebli

Soutien à l'initiative "Pour l'adhésion à l'ONU"

L'assemblée générale du GSsA du 22 novembre a décidé un soutien «critique» à l'initiative qui demande l'adhésion de la Suisse à l'ONU. Pour le moment, le GSsA n'a pas adopté des objectifs pour «concrétiser» ce soutien.

Certainement, une initiative qui aurait lié à l'adhésion un engagement pour une politique de solidarité active avec les pays pauvres et pour le désarmement global aurait suscité plus d'enthousiasme. Mais pour s'assurer un soutien très large, les promoteurs de l'initiative se sont limités à l'objectif minimum de l'adhésion. Dans le comité de soutien, à côté de politiciens bourgeois et socialistes, on trouve aussi des organisations tiers-mondistes comme la Déclaration de Berne, l'Action place financière Suisse-Tiers Monde, l'Association pour l'amitié Suisse-Tibet, ou encore le Comité de soutien au peuple Saharoui. Plusieurs de ces associations sont très critiques envers le fonctionnement de l'ONU, mais elles sont aussi conscientes qu'elle représente actuellement la seule institution internationale qui peut contribuer à la solution de nombreux conflits ainsi qu'aux aspirations de justice et de liberté d'une partie importante de l'humanité opprimée.

Il est évident que pour faire fonctionner l'ONU de manière démocratique, pour qu'elle représente la volonté des peuples et non des gouvernements, et aussi pour qu'elle constitue un contrepoids politique à la domination de la globalisation économique, une réforme totale est nécessaire. Cette réforme de l'ONU sera possible uniquement à travers une pression venant d'en-bas, exercée par les mouvements sociaux actifs et la société civile des Etats qui en font partie.

Jusqu'à présent, une majorité du peuple suisse a défendu l'isolationnisme pour maintenir une position de richesse et de privilèges par rapport à la plupart des autres pays du monde. Pour changer cette attitude égoïste et pour favoriser un processus de réforme de l'ONU, l'adhésion nous paraît un pas utile à accomplir.

T.S.

Résolution contre Pinochet

Le GSsA rejoint le formidable mouvement de solidarité pour la justice et la vérité, et contre l'impunité du dictateur Pinochet. Lui et son armée, après le putsch (1973), ont pris le Chili en otage tout en entraînant d'autres pays d'Amérique latine dans une répression sanglante et dictatoriale contre les opposants.

Nous soutenons fermement les diverses demandes d'extradition déposées contre l'ancien dictateur et partageons cette période d'espoir pour la défense des droits de la personne au Chili et dans le monde.

Pinochet et tous les tyrans, coupables, doivent répondre de leurs crimes contre l'humanité et l'oubli!

L.G.