"Une Suisse sans armée" n°39, automne 1998, p. 2
Notre déception concernant le rapport Brunner a été confirmée par la publication des résultats de la consultation engagée par le DDPS (Département de la défense, de la protection de la population et du sport) à son sujet (voir p. 3). Les positions rapportées reflètent essentiellement le débat entre «modernistes» et «traditionalistes»; les premiers favorables à l'intensification de la collaboration en matière de défense avec les autres pays occidentaux, voire l'OTAN, ainsi que de la professionnalisation et de l'abandon de la neutralité; les seconds (semble-t-il en minorité) attachés au système de milice et à la neutralité. Le DDPS a totalement ignoré le point de vue selon lequel il serait opportun de privilégier la prévention des conflits avec des moyens solidaires et civils, au lieu d'investir dans la modernisation des moyens militaires et dans la capacité à intervenir au niveau international. Pourtant le GSsA n'est pas le seul à avoir répondu ainsi à la consultation. On n'y trouve pas non plus de trace de la prise de position du Parti Socialiste Suisse, qui s'oppose à l'orientation générale d'une politique de sécurité centrée sur la rénovation des instruments de défense pour faire face aux «nouvelles menaces» et sur la militarisation des interventions à l'extérieur.
Avec la publication des «Lignes directrices politiques pour le Rapport sur la politique de sécurité 2000» (voir p. 3), le Conseil fédéral donne un aperçu des changements qui se préparent. Sous le slogan «la sécurité par la coopération» sont envisagés pêle-mêle des exercices de troupes communs avec les autres armées du «Partenariat pour la paix» de l'OTAN, ainsi que la poursuite de la «préparation adéquate» de la défense du pays et de la «souveraineté aérienne». Le service militaire obligatoire et le système de milice seront maintenus, tout en augmentant «la proportion de militaires professionnels dans les secteurs techniquement complexes et devant assurer une préparation élevée».
Les traditionalistes pourront s'accommoder fort bien d'une «armée suisse, certes amaigrie et professionnalisée,[qui] va rester un monument-souvenir à la guerre froide.»1, tout comme les modernistes, qui voient dans la coopération avec les autres militaires occidentaux la seule manière pour justifier à terme le maintien de l'outil militaire.
«Nous ne pouvons seulement consommer la paix mais nous devons aussi produire la paix» aime répéter notre ministre de la défense Adolf Ogi. Donc, si les guerres ne viennent pas à la Suisse, il faudra envoyer les Suisses à la guerre, ou, pour utiliser un langage plus politiquement correct, à la «gestion des crises».
Or, le problème c'est que la gestion des crises par les puissances occidentales, dans le sens de la construction de la paix, est un leurre. Elles n'interviennent massivement que lorsqu'il existe un enjeu stratégique majeur, comme le pétrole, pratiquement jamais pour faire respecter les droits humains. Et même quand elles le font, les dégâts sont déjà irréversibles. En outre, elles fondent leur conception de la paix sur le rétablissement de «l'équilibre des forces». Avec la «paix» de Dayton, au lieu de désarmer l'entité serbe, elles ont massivement réarmé l'autre partie, rendant ainsi indispensable la permanence des troupes de l'OTAN.
Heureusement que le tableau n'est pas complètement noir: à côté de l'armée-monument à la guerre froide et des «managers de crises» en uniforme, qui se sentent déshonorés parce qu'ils ne peuvent pas se montrer avec leurs armes à l'étranger, il y a nos deux initiatives. Si elles aboutissent, nous aurons la possibilité de proposer une alternative civile et solidaire à la «production de la paix» telle qu'elle se prépare actuellement entre militaires de la vieille et de la nouvelle génération.
Merci à tous ceux et celles qui nous ont aidés jusqu'ici! Mais nous ne sommes encore qu'à mi-chemin de la récolte de signatures et l'hiver approche. Nous dépendons, plus que jamais, de votre soutien pour arriver à déposer ces initiatives.
Tobia Schnebli
1 Éditorial de la Tribune de Genève du 15 sept. '98.