"Une Suisse sans armée" n°39, automne 1998, pp. 3-4

Suites du rapport Brunner:

Armée 200X: Odyssée dans le vide?

Où ira l'armée suisse de l'an 200X? Si on cherche à le deviner en partant des «Résultats de la consultation relative au rapport Brunner» et des «Lignes directrices politiques pour le Rapport sur la politique de sécurité 2000»1, on risque l'impasse complète en raison du vide conceptuel qui caractérise ces textes (voir les morceaux choisis ici-dessous).

On a donc cherché à comprendre en faisant appel à la numérologie et on a compris: le X dans le nouveau concept de l'armée c'est l'inconnue, c'est la traduction numérique de «on ne sait jamais ce qui peut arriver» et les zéro du rapport sur la politique de sécurité traduisent bien la nullité des lignes directrices politiques à ce sujet. En se basant sur cette nullité (= 0) on peut en déduire que l'armée 200X n'ira nulle part.

Et le numéro deux alors?

C'est que les Suisses aiment les choses bien faites, l'armée ira donc même deux fois nulle part. Parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver. Les miliciens territoriaux continueront d'attendre de pied ferme l'arrivée des vagues de réfugiés à la frontière. Pas un centimètre de plus. On reste chez nous, donc on va nulle part. En même temps, il faudra se défendre contre les menaces de l'an 200X. Guerre informatique, missiles intercontinentaux, guerres par satellites. On ne sait jamais. Pour être sûrs à ce niveau également, il faut dominer le monde virtuel, dépasser la stratosphère, il faut coopérer à «star wars», la sécurité n'a pas de prix. Une fois qu'on aura maîtrisé les nébuleuses, on approchera les espaces infinis, le néant, et on sera arrivé une deuxième fois à nulle part.

Morceaux choisis

Résultats de la consultation relative au rapport Brunner.

«Une coopération renforcée avec l'étranger, une application souple et pragmatique de la neutralité, une réforme dans de brefs délais de l'armée et de la protection civile: telles sont les différentes tendances qui se dégagent des nombreuses réactions au Rapport Brunner.»

«Par ailleurs, on se prononce pour une professionnalisation accrue de l'armée et pour l'accomplissement du service militaire en un seul bloc. () Le système de milice, qui a fait ses preuves, devrait être maintenu. La mise sur pied de formations professionnelles cacherait le danger d'une armée à deux classes.»

«Une collaboration technique bilatérale ou multilatérale dans les domaines de l'exploration par satellites et de la surveillance de l'espace aérien est saluée. () La recommandation d'examiner des possibilités pour une collaboration directe avec des partenaires étrangers, dans le domaine de la défense contre des missiles, n'éveille que très peu d'intérêt. Une grande majorité des prises de position reçues s'exprime néanmoins de manière positive sur une éventuelle coopération.»

Lignes directrices politiques pour le Rapport sur la politique de sécurité 2000

L'armée a perdu son ennemi, mais elle doit être prête à tout, ...

«La baisse sensible de la probabilité d'une menace militaire «classique» et la montée de risques nouveaux (prolifération, crime organisé, guerre de l'information) sont les principales mutations en matière de politique de sécurité. () Pour assurer la sécurité de la Suisse, il s'agit d'améliorer l'intégration des divers instruments de la politique de sécurité à l'intérieur du pays et de renforcer la coopération avec les autres Etats et organisations. () En se préparant de manière adéquate à prévenir la guerre et à défendre le pays, ainsi qu'à sauvegarder la souveraineté aérienne, l'armée contribue en temps de paix déjà à la stabilité et à la sécurité. L'armée doit en outre maintenir ouvertes les transversales (rail, route, vecteurs d'énergie). () La participation au Partenariat pour la paix doit déboucher sur des exercices de troupes communs en vue de telles opérations.»

... donc des réformes en profondeur s'imposent

«Les trois missions actuelles de l'armée - la promotion de la paix et la gestion des crises, la défense et la sauvegarde des conditions d'existence - demeurent inchangées. Elles doivent être revues et pondérées par rapport à la menace.() L'obligation générale de servir et le système de milice doivent en principe être maintenus. () De nouveaux modèles de service militaire, permettant à une partie des militaires d'accomplir leur service en une seule période, ou l'introduction d'une catégorie nouvelle de soldats «contractuels» doivent être examinés.»

... pour être capables de tout faire.

«L'actuelle défense générale doit être remplacée par un système de sécurité souple et global. Les risques de nature existentielle doivent être identifiés assez tôt dans le cadre de ce système de sécurité, qui évalue leurs conséquences et définit les mesures à prendre. () Quant à la protection des réseaux informatiques (notion d'«information-warfare»), elle exige l'amélioration et la coordination des mesures de sauvegarde. () La politique étrangère et la politique économique extérieure ainsi que les questions relatives à la sécurité intérieure ne sont pas de la compétence du DDPS. Pourtant, le Rapport sur la politique de sécurité 2000 devra analyser les développements majeurs de ces domaines politiques et leurs influences sur la politique de sécurité, en collaboration avec les départements concernés. Il s'agit notamment des conséquences de l'élargissement de l'Union Européenne ou de la globalisation des marchés. En matière de sécurité intérieure, il faudra surtout revoir les interfaces entre les moyens civils et militaires.»

A défaut de contenus clairs, au moins le langage se veut très "in".

Tobia Schnebli

1 Disponibles sur le site internet du DDPS http://www.admin.ch/ddps/