"Une Suisse sans armée" n°38, été 1998, pp. 13-14

Violences à Genève:

Des débordements annoncés

Genève a connu des nuits très chaudes du 16 au 20 mai, lors de la grande conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Des contre-manifestations, pacifiques au départ, ont tourné à l'affrontement avec les forces de l'ordre. Les dégâts sont chiffrés à plusieurs millions de francs et un phénomène grandissant de violence dans la jeunesse s'est manifesté.

L'OMC n'est pas une organisation internationale comme les autres. Non rattachée à l'ONU, elle observe les lois du marché et la politique n'y a qu'une place minime. On y discute globalisation et déréglementation, et non pas d'un monde plus juste et plus vivable. L'économie et la finance passent avant les êtres humains. C'est ce que l'Action Mondiale des Peuples (AMP) dénonce. Cette organisation rassemble de nombreux mouvements anticapitalistes dans le monde qui souhaitent se coordonner pour s'opposer au pillage et à la pollution des ressources de la planète pour le profit d'une petite minorité. L'AMP a organisé une grande manifestation pacifique le 16 mai, suivie d'actions diverses durant la conférence, dont une occupation du siège européen du marchand d'armes Lockhead. De nombreuses autres manifestations se tenaient ailleurs dans le monde durant la même période. Ce mouvement a pris une ampleur inégalée.

Le dispositif policier était à la hauteur de l'événement. Un périmètre immense a été bouclé, des axes de circulation importants fermés au trafic, un ballet incessant d'hélicoptères survolait la ville. Un vrai état de siège qui n'est pas pour calmer certains manifestants.

Provocations?

Cependant, lors du cortège, la police est invisible. Elle n'interviendra pas lors des quelques jets de peinture et bris de vitrines ciblés - centre commercial de luxe, banques, McDonald's - tout au long du parcours et qui sont le fait de quelques manifestants masqués. Mais dans l'ensemble tout était calme et c'est donc sans incident notable que la manifestation est arrivée au bout du parcours.

Là, la manifestation vient buter contre des barrières à 200 m. du siège de l'OMC. Les 8'000 personnes, dont nombre de familles avec enfants et poussettes, sont compressées dans ce cul-de-sac où les issues pour fuir sont peu nombreuses.

Au bout d'une heure de fête et de sit-in pacifique, des manifestants passent à l'action. Une Mercedes à plaques diplomatiques est renversée sur le toit. Les policiers sont bombardés par des projectiles divers mais ne répliquent pas. Une Ferrari, pourtant garée bien visiblement, échappe à la vigilance des casseurs. Ces coïncidences - voitures de luxe, arrivée de la manifestation dans une souricière - sont bien troublantes

La manifestation est alors dirigée vers un endroit plus dégagé où le pique-nique et la fête prévus peuvent se dérouler dans le calme. Vers le milieu de la soirée, un cortège d'encore 500 personnes se dirige vers la gare dans un grand raffut, toujours sans que de grands dégâts soient causés. A proximité de la gare, un des organisateurs déclare la dissolution de la manif. Une grande partie des manifestants rejoint le campement sur la plaine de Plainpalais pour se reposer ou faire la fête.

C'est alors qu'un petit groupe met le feu en plein carrefour à une épave de voiture amenée pour l'occasion comme symbole. D'autres commencent à briser les vitrines. Pour la première fois de la journée, les policiers anti-émeute s'avancent sur les lieux, et engagent une course-poursuite avec les casseurs en direction de la plaine de Plainpalais.

Comme dans un film

Un immense dispositif policier investit alors ce grand espace et s'approche du campement où certains casseurs se sont mêlés aux personnes qui discutaient autour d'un feu. Un hélicoptère survole les rues avoisinantes où d'autres groupes opèrent. La police est présente avec tous ses véhicules blindés, tous phares et gyrophares allumés. Avec le lourd équipement des policiers - tenues rembourrées, casques, boucliers - qui les font ressembler à des samouraïs ou à Robocop, tous les ingrédients sont présents pour exciter ceux qui sont prêts à en découdre. Le spectacle est impressionnant. Le bruit de l'hélicoptère attire de nombreux badauds et fêtards sur la plaine.

Chahut nocturne

Deuxième moment de tension: un chahut nocturne était organisé le mardi dès 20h30 pour protester contre la déréglementation et contre la nouvelle loi suisse sur le travail qui prévoit entre autres de prolonger le travail de jour jusqu'à 23h. au lieu de 20h. Suite aux événements du samedi soir, cette manifestation a été annulée. Malgré cela, de nombreuses personnes affluent au lieu du rendez-vous. Là, les organisateurs expliquent leur point de vue, mais ce n'est pas suffisant. Des débordements ont à nouveau lieu, et de nombreuses vitrines de petits commerçants volent en éclat.

Cette fois-ci, le profil des casseurs a changé. Il ne s'agit plus d'autonomes venus de toute la Suisse, voire au-delà, comme le samedi soir. Échauffés par la présence du dispositif policier et par les événements précédents, des mineurs, pour la plupart très jeunes, se livrent à un jeu de course-poursuite avec les policiers. C'est une explosion de violence due à la frustration face à cette société mercantile qui exclut une partie grandissante de la population. Ce sont des jeunes qui se vengent des vexations quotidiennes subies face à la police, qui sont livrés à eux-mêmes dans la rue et qui n'ont parfois pas pu trouver de place pour une formation adéquate.

Les médias ont beaucoup déploré deux faits. Le premier est la casse indiscriminée frappant à la fois les banques, les multinationales et les petits commerçants. Peu de gens sont prêts à pleurer les dégâts du McDo ou des grandes banques. Par contre, l'attaque de petits commerces, de la pharmacie au marchand de babioles rastas, a été très mal perçue et risque de donner lieu à une dérive sécuritaire qui peut mener au drame. Certaines victimes étaient prêtes à s'armer et à dormir dans leur magasin pour le défendre Le second événement a été le tabassage de deux policiers en civil. Ceux-ci ont été surpris et démasqués. Cet acte lâche a été largement condamné à juste titre.

Violente répression

Face à ces événements, la police a souvent perdu son sang froid. Elle a procédé à une rafle indiscriminée dans un lieu culturel genevois. On a déploré de nombreux passages à tabac. Tout le monde a vu au Téléjournal la brutalité des policiers face à une tentative non violente de pénétrer dans le palais des Nations. Des personnes rampant à terre se sont vues matraquer et frappées à coup de pied, et des gaz lacrymogènes ont été tirés. Certaines personnes se sont vues attacher aux poteaux d'un parking pendant une douzaine d'heures, sans nourriture ni boisson, ni soins quand elles étaient blessées. Tout cela pour ne retenir la plupart du temps aucune charge! Mais l'identité et les empreintes des personnes arrêtées sont désormais conservées par la police!

Quelle(s) réponse(s)?

Les événements du mois de mai ont montré les limites et l'inadéquation de la réponse policière. Une fois de plus, le Conseiller d'État Gérard Ramseyer, colonel radical, a brillé par ses déclarations à l'emporte-pièce. Pas moins de deux commissions d'enquête ont été mises sur pied, l'une par le Conseil d'État à majorité de droite, et l'autre par le Grand Conseil de gauche.

Il y a un besoin criant et urgent d'autres manières de résoudre et de prévenir les conflits. On peut par exemple citer les mesures d'éducation à la paix prônées par l'initiative cantonale «Genève - République de paix». Des projets sociaux liés au service civil devraient notamment être mis sur pied. Il y a aussi les mesures de prévention des conflits préconisées par nos initiatives nationales, comme , la reconstruction sociale ou l'encouragement de l'égalité des chances et entre les groupes sociaux etc.

Les restrictions budgétaires frappent de plein fouet les aides sociales et les services qui apportent un peu d'aide aux plus défavorisés. Par contre, les militaires peuvent encore compter sur un budget de près de six milliards, et se permettent de claquer trois millions pour l'opération de propagande des journées de l'armée et du défilé à Frauenfeld.

Il faut donner une priorité aux besoins de la population et réduire les budgets militaires. Sinon, on verra de plus en plus d'explosions de violence et la répression se fera de plus en plus forte.

Une prévention de la violence est possible par du travail sur le terrain! Mais gageons que Ramseyer et d'autres va-t-en-guerre ne se priveront pas la prochaine fois de réclamer à grand cris d'autres moyens et d'user de méthodes de répression violentes (balles en caoutchouc, gaz lacrymogènes) comme c'est déjà le cas à Zurich. Montrons-leur que nous ne voulons pas de cet avenir!

Sébastien L'haire


La médiation

Une des nombreuses possibilités d'intervention des futurs membres du service volontaire pour la paix que nous demandons par notre initiative fédérale, c'est de proposer un service de médiation dans des conflits de voisinage. Il y a à Genève déjà 3 associations qui abordent ce type de conflit: Intermed jonction, Asmed GE et la Maison de la Médiation. Ces associations ont chacune un comité et une permanence téléphonique mais encore bien peu d'appels. Ce service de médiation mérite d'être mieux connu car il évite des procès coûteux et surtout insatisfaisants pour les 2 parties en conflit. La médiation rétablit des relations de confiance et apporte un mieux vivre.

Ces associations offrent également des possibilités de formation aux personnes intéressées par ce service. Se renseigner à la permanence de Intermed. Au 321 11 55.