"Une Suisse sans armée" n°37, printemps 1998, pp. 25-26

On nous écrit:

Un ancien de la mob nous dit:
Il vaut la peine de lutter pour l'utopie!

Il était une fois un Suisse qui, après son école de recrue, était parti travailler en Afrique équatoriale. Rapatrié en 1941, il a "fait" toute la mobilisation ultérieure en qualité de fusillier dans une unité du plateau. ça a donné quelques centaines de jours de service, entrecoupés de périodes de "travaux d'appoint" (parce qu'il était difficile de se faire engager entre les périodes où il se trouvait "sous les drapeaux").

Soit dit en passant : mes camarades et moi n'avons jamais exprimé le sentiment d'avoir à défendre quoi que ce soit; nous faisions ce qui nous était commandé, soit directement à la frontière, soit aux abords du «Réduit national». Nous ne nous faisions d'ailleurs aucune illusion: si les Allemands nous attaquaient, nous n'aurions eu aucune chance d'en réchapper. Mais il fallait que nous soyons prêts pour que la conquête de la Suisse ne soit pas une promenade militaire, mais une décision mûrement réfléchie.

Ce n'est que plus tard, bien plus tard après la fin de la guerre, que le petit Suisse a réalisé la nécessité de refuser que les nations continuent à vouloir régler leurs différends par les armes et que la passivité dans ce domaine était un encouragement aux autorités à raisonner comme elles le font encore aujourd'hui: on ne sait jamais, un ennemi pourrait surgir sur notre chemin un jour ou l'autre.

Je crois que, même si toutes les nations de la terre supprimaient leur armée, il se trouverait des Suisses pour maintenir la leur. On trouve toujours des arguments pour justifier la nécessité de se faire valoir. D'ailleurs, tant que les populations croient à une menace quelconque (il y a toujours eu des guerres, n'est-ce-pas?), il ne faut pas compter voir les gouvernements renoncer à leurs canons et à leurs missiles. Ce n'est que le jour où ils sentiront l'opposition populaire à l'esprit guerrier qu'ils se résoudront à annuler les budgets militaires. Il faut que les pacifistes travaillent dans ce but avec acharnement, avec la certitude que le patriotisme - légitime dans une certaine mesure - ne se résume pas aux vertus guerrières.

Notez que je ne me suis pas senti frustré sous l'uniforme: je me suis accomodé de mes chefs aussi bien que possible et ne regrette en rien les efforts physiques que nous avons faits en commun. J'ai rencontré d'excellents camarades et partagé sans peine avec eux le lit de paille qui nous était offert. Après 1945, il a bien fallu se rendre compte que l'armée ne répondait plus aux nécessités de l'époque et prendre conscience de l'obligation de lutter avec vigueur pour l'instauration d'un monde réglant ses conflits autrement qu'avec les armes. Utopie, disent certains; la fraternité universelle est une vue de l'esprit. Peut-être! Il n'en reste pas moins des exemples qui prouvent la possibilité d'accords et que la discussion, voire les marchandages, les remplacent avantageusement pour chacun. Il vaut la peine de lutter dans ce but.

Dans l'espoir que vous trouverez quelqu'originalité à ce texte et qu'il figurera dans le prochain numéro de notre revue, je vous prie de croire, chers amis, à mes sentiments les meilleurs.

Georges Cuendet, Lausanne

P.S. - Mon âge me permet, vous en conviendrez, de ne pas prendre une part active à la lutte que vous entreprenez. Je le regrette bien.

"Femmes et Politique de Sécurité"

Conférence du 29.01.98 à Lausanne.

Malgré le titre accrocheur de cette conférence, je suis resté sur ma faim car j'ai entendu les mêmes théories éculées sur la Défense Nationale (de quoi, de qui?) constamment ressassées depuis des lustres.

La salle était visiblement acquise aux idées des organisatrices et j'ai dû, malheureusement, constater l'intolérance, le mépris et le manque d'ouverture à l'égard du contradicteur invité, M. Jacques-André Mayor, qui développait certains des vrais problèmes.

La caste militaire est incapable de voir les réels problèmes de notre société et les priorités qui touchent les citoyens (nes). La réalité militaire se limite à assurer et à protéger ses continuels et exagérés privilèges ainsi que ceux des nantis de notre pays. Ce comportement est une insulte à l'égard des défavorisés et des exclus produits par notre société.

L'argumentation de Mme Christiane Langenberger m'a attristé car son discours ne diffère guère de celui des politiciens masculins. J'osais espérer des propositions novatrices et radicales pour réformer ces pharaoniennes et coûteuses administrations dévoreuses des ressources vitales de notre planète.

Peut-on et/ou doit-on continuer à faire confiance à une poignée de décideurs qui dictent leurs lois sans tenir compte des besoins de base et de l'avis de la masse populaire, malheureusement, silencieuse?

Ernest Lehmann, Cully

Balle tragique à Collombey: un mort?

Mi-décembre, les conclusions stériles de deux procès se côtoyaient par hasard. Procès de l'accident d'Ayrton Senna et procès faisant suite au décès tragique de la petite Magali, tuée d'une balle perdue dans un stand de tir valaisan. Qu'y a-t-il de commun? C'est que la Justice a pour rôle de forcer la collectivité à apprendre d'une mort qui n'aurait pas dû être. Pour concrétiser le «plus jamais ça!» qui vient à la bouche. Et elle peine a remplir ce rôle, parce qu'il demanderait de déterminer les coupables parmi les comportements à risques, parmi les pratiques admises que le cas met à jour, plutôt que parmi les individus, ainsi qu'elle l'a toujours fait.

Ingénieurs et artistes connaissent le plaisir de «la belle ouvrage». Je suis dégoûté que l'âme de l'ingénieur en armements puisse partager cette jouissance. Mais ces créateurs de la destruction ne sont pas seuls ensorcelés. Les membres de sociétés de tir ne sont-ils pas séduits en nombre par la «beauté» d'une arme, beauté qui s'observe en «oubliant» que le fusil n'est autre qu'une machine à tuer? C'est uniquement et précisément en raison de leur puissance meurtrière, que les fusils sont en effet conçus. Qu'ils existent. Nos journaux mentionnent, à propos de Magali, qu'il faut ajuster la sécurité des stands de tir au type neuf du fusil qui l'a tuée. Pourquoi un nouveau type de fusil ? Précisément par suite du souci d'en parfaire la puissance d'horreur.

En ce sens, Magali fut donc victime de la course aux armements. Et si Magali est morte, c'est aussi de vivre dans une Suisse «qui n'a pas d'armée, mais en est une». Où l'on veut croire que le fusil, somme toute, est une espèce de parapluie compliqué. Au point d'associer démonstrativement l'enfant à son exercice. Sa mort témoigne du mensonge de la démonstration: remarquer cela, c'est le moindre respect qu'on lui doit! Dédiée à Magali, je vous livre ici une démonstration «enfantine» du contraire, la démonstration que le fusil n'est pas un parapluie:

Si le Fusil est un Parapluie, la Guerre est un Orage, et réciproquement. Quoique s'étant découvert le pouvoir d'endommager l'Atmosphère, l'Homme se sait bien incapable de la détruire au point d'y rendre l'Orage impossible. Par contre, l'Homme se connaît le pouvoir de se supprimer lui-même, et donc un moyen de rendre la Guerre impossible. Cette différence suffit à la conclusion que la Guerre n'est à toutes fin pratiques nullement un Orage. A fortiori, le Fusil n'est donc pas un Parapluie.

Boris Borcic, Genève