"Une Suisse sans armée" n°37, printemps 1998, pp. 18-19

Afrique du Sud:

Vérité et réconciliation

Le combat pour une mémoire commune est une condition pour la justice et la paix. Pourra-t-on impliquer bourreaux et victimes ensemble dans ce processus? La Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud accomplit un travail de pionnier. Par Hlengwiwe Mkhize.1 (Traduction S. Kristensen).

La Commission vérité et réconciliation (Truth and Reconciliation Commission - TRC) ressemble à un voyage en train dans la brousse: depuis sa fondation en décembre 1995, elle a emmené les Sud-africains dans des fermes d'Etat et des installations sportives éloignées où des activistes étaient torturés, assassinés, brûlés et enterrés. Des témoins, survivants et victimes, rapportent comment l'ensemble des institutions et des organes de la société - la justice, la santé, la police, l'armée, le secteur de la formation, l'économie, les associations, les médias, et même des communautés religieuses - ont commis les violations les plus graves des droits de l'homme. Ce voyage à travers l'Afrique du Sud a dévoilé l'horreur du régime d'apartheid. L'époque de l'apartheid s'est révélé être un point tristement culminant des siècles de domination coloniale et raciste.

Deux histoires différentes

La TRC a déclenché un débat sur les notions de vérité et de réconciliation. Sans surprise, on constate dans une société restée divisée pendant si longtemps, des perceptions différentes des événements du passé. Certes, chacun reconnaît que le passé du pays a été horrible parce que l'Etat a tué et torturé, parce qu'il a fait disparaître celles et ceux dont il était dit qu'elles/ils menaçaient la «paix» et la stabilité. Pourtant, certains nient que tout cela reposait sur une politique systématique. Il s'agit encore de démonter une stratégie de défense: pour les cas où les milieux politiques ont incité des employés des services de sécurité à éliminer des citoyens considérés comme terroristes, les membres du régime affirment qu'«éliminer» ne signifie pas tuer.

Réconciliation contre vérité

Dans la TRC, les rôles principaux sont tenus par les victimes et les bourreaux. Si un témoin est reconnu comme victime, un Comité de réparation formule sous l'égide du gouvernement une recommandation au sujet de la forme appropriée de la compensation. Le travail de ce Comité est une tentative de mettre en paroles les douleurs du passé, de guérir par des voies symboliques les blessures et de compenser les injustices commises. La loi qui sert de base à la commission contient également une clause d'amnistie. Elle permet aux bourreaux d'exposer l'histoire de leurs violations des droits de l'homme au Comité d'amnistie. Ce comité décide alors au cas par cas de l'octroi d'une amnistie.

La question reste posée de savoir si un tel processus peut apporter à chacune et chacun la justice. Il y a des parents de victimes qui ressentiraient une amnistie comme un parodie de justice. Pour les bourreaux également, les révélations ne sont pas faciles, en particulier parce que leurs proches ne savaient rien de ces activités. Ils argumentent en disant qu'ils ont été incités par l'Etat à commettre ces crimes; toutes les institutions sociales avaient affiché une attitude permissive, et le contexte social de l'époque avait influencé leur mode de pensée et leur conscience au point qu'ils considèrent leurs actes uniquement comme l'application de la politique dominante.

Des visages à la place des chiffres

Le travail du Comité ne permet aucune réponse simple à ces questions. Le processus, qui dure maintenant depuis 18 mois, a au moins brisé le silence malgré quelques manques juridiques. Il a donné un visage et une voix à tous ceux qui n'étaient que des chiffres dans les statistiques.

La réhabilitation et la réparation sont des processus qui s'étendent sur de longues années. L'ensemble de la société sud-africaine doit y participer. Nos rencontres nous ont montré que les ONG (Organisations non gouvernementales) assument l'essentiel de ce travail. Ce sont elles qui font avancer la politique de réhabilitation. Mais elles souffrent d'un manque chronique de moyens financiers et ont besoin du soutien de la communauté internationale ainsi que d'une reconnaissance par l'Etat.

Il reste à espérer que les réparations correspondent aux besoins des survivants et des victimes. Nous sommes conscients du fait que ni les réparations matérielles, ni la réhabilitation ne peuvent effacer les blessures physiques et psychiques du système de l'apartheid. Ces actes doivent être vus avant tout comme des gestes symboliques de reconnaissance des souffrances infligées par l'Etat.

Nous voulons construire la paix depuis la base et impliquer pour cela toutes les personnes concernées. Pendant la lutte contre l'apartheid, des «grassroot- structures» se sont développées, des réseaux de citoyens. Nous espérons que le processus de réhabilitation ranimera ces structures et qu'ainsi, les populations pauvres et rurales pourront y participer. Aujourd'hui déjà, le travail de la TRC a ouvert un espace où les ennemis d'avant peuvent se faire face sans peur. A partir de là, une compréhension commune du passé et, espérons-le, un avenir commun peuvent naître.

1 Hlengwiwe Mkhize est la présidente du Comité de réparation et de réhabilitation de la Truth and Reconciliation Commission (TRC) en Afrique du Sud. Nous présentons la version raccourcie d'une conférence tenue à la fin octobre 1997 lors d'un séminaire co-organisé par le GSsA à Trogen (AR)