Une Suisse sans armée n° 36, hiver 1997, pp. 6-7

Démission:

La presse a donné une large place à la démission du GSsA d'Andreas Gross et de trois autres militants. Si nous publions ici la lettre d'adieu de ces quatre militants et une réponse ouverte, signée par quelques militants du GSsA, c'est d'une part pour répondre à un besoin de transparence, et d'autre part parce que ces lettres contiennent des arguments qui font partie du débat autour de nos initiatives. (Les illustrations sont de la rédaction.)

Lettre d'adieu au GSsA

Chers membres du GSsA,

Dimanche prochain, par une grande majorité des présents, vous allez décider le lancement l'année prochaine d'une nouvelle initiative populaire pour l'abolition de l'armée. Comme nous l'avons répété continuellement ces deux dernières années, nous sommes convaincus qu'une nouvelle initiative pour l'abolition ne sera pas en mesure de faire avancer les réformes dans la politique de paix de la Suisse.

Nous ne réussissons pas à vous transmettre cette conviction. Vous insistez à vouloir lancer une deuxième initiative pour l'abolition. Cela est votre bon droit. Toutefois nous ne voulons rien avoir à faire avec cette initiative, ni être identifiés avec elle. Pour ne laisser surgir aucun doute dans ce sens, dimanche à midi nous quitterons le GSsA, si la décision de lancement est prise.

Vous ne devriez pas trop sous-estimer la déclaration de nos démissions en raison d'au moins deux considérations. Comme vous, nous sommes aussi toujours convaincus qu'à l'intérieur comme à l'extérieur une Suisse sans armée pourrait faire plus pour la paix, c'est à dire pour augmenter les possibilités de vie pour le plus grand nombre d'êtres humains, qu'une Suisse avec armée. Nous sommes plus que jamais conscients que seuls des citoyennes et citoyens actifs et engagés, peuvent changer notre monde pour le meilleur. Nous ne confondons pas les possibilités de réforme d'une société avec celles de cercles restreints. Nos expériences dans différents parlements et commissions de la Suisse officielle n'ont que renforcé nos convictions dans ce sens.

Nous ne voulons pas vous cacher que cet adieu est tout sauf facile pour nous. Il est même douloureux. Pendant presque quinze ans nous avons tout de même consacré beaucoup de notre temps au GSsA, dans lequel nous avons pu faire des expériences uniques et avec lequel nous avons pu nous identifier politiquement.

La grande différence entre vous et nous se trouve dans la divergence sur l'évaluation de la situation politique actuelle et des perspectives de la politique de paix en Suisse. En regardant avec précision, on voit que le train que le GSsA a mis sur les rails et qui a été mis en route avec l'appui de plus d'un million de Suissesses et Suisses en 1989, est toujours en mouvement et qu'il influence de manière déterminante la politique militaire et de paix de la Suisse. Et ceux précisement parce que nous pouvions travailler avec l'appui venant des changements dans le monde depuis 1989.

La Suisse officielle réagit toujours avec un grand retard aux changements de circonstances et aux nouvelles conditions-cadres - en particulier quand il s'agit de l'armée et la politique de défense. Ainsi, le concept d'armée 95 est encore totalement façonné par la pensée des années 80 et n'a réussi d'aucune manière à réaliser les opportunités de la politique mondiale offertes par les changements d'après 1989. Ces chances sont prises réellement en considération en plusieurs lieux de la Suisse officielle maintenant seulement. Cela s'exprime par les discussions approfondies autour de la «Commission Brunner» et par les projets de réforme drastiques, tels qu'on les perçoit même en provenance du DMF. Des officiers et des politiciens conservateurs s'opposent encore avec véhémence à ces projets de grandes réformes et de réduction militaire. Une nouvelle initiative pour l'abolition de l'armée amènera de l'eau à leur moulin, et non pas aux réformateurs en matière de politique de sécurité.

Une nouvelle initiative du GSsA ne pourra donc pas déclencher plus de réformes que celles qui sont déjà en cours, et qui se mettront en route même sans elle.

En conséquence, selon nous, nous devrions porter notre engagement, notre enthousiasme, notre volonté politique et nos capacités dans d'autres domaines de la politique de paix, là où des propositions sont plus nécessaires et peuvent avoir plus d'effet que dans le domaine militaire. Nous pensons surtout à la violence quotidienne liée à la forme actuelle de la globalisation qui touche des centaines de milliers de personnes, à la politique européenne, à l'adhésion à l'ONU, à la transformation de l'état social, à la redistribution du travail qui se réduit, et à une croissance économique qui ne serait pas en contradiction avec nos convictions écologiques. Finalement, depuis la fondation du GSsA il y a seize ans, nous avons toujours considéré l'armée comme la pointe d'un iceberg producteur de conflits: il y aurait donc assez de suggestions pour des initiatives populaires riches de perspectives et originales.

Nous comprenons bien une chose: chacun et chacune d'entre nous aimerait chambouler, aérer et changer durablement un système dans lequel il souffre. Pour cette raison chacun et chacune de nous aimerait vivre «son 68» ou «son 80» ou «son 89». Mais la répétition d'une recette à succès ne garantit pas encore un nouveau succès. Déjà par le fait qu'un tabou ne peut être logiquement brisé qu'une seule fois; c'était le tabou avec lequel la Suisse officielle avait recouvert son armée qui a fait surgir, de façon émotionnelle et aussi tout à fait dialectique, chez beaucoup de gens la force d'attraction et la puissance de la première initiative du GSsA.

Nous devons donc essayer d'être à nouveau à la hauteur du temps, voire même un peu à l'avance, pour pouvoir voter dans cinq ans une initiative qui sache enthousiasmer les gens, leur donner du courage et les motiver positivement. Nous serions prêts à participer à une telle initiative. Mais nous sommes convaincus que cela ne saurait être déclenché par la deuxième initiative abolitionniste que vous allez décider ce prochain dimanche.

Avec nos salutations amicales

Andi Gross (Zürich), Adrian Schmid (Lucerne), Martin Bühler (Bühlach) et Jürgen Schulz (Berne)

Zurich/Berne, le 19 novembre 1997