Une Suisse sans armée n° 35, automne 1997, p. 11

Vers une interdiction totale des mines antipersonnel:

Deux grandes victoires en deux mois

Oslo, septembre 1997

Plus de cent pays se sont réunis en Norvège dans le cadre d'une conférence internationale en vue d'élaborer le texte final du traité d'Ottawa, bannissant les mines antipersonnel.

Les Etats-Unis, certains de pouvoir comme à l'accoutumée dicter leur volonté au monde, avaient posé trois exigences à leur adhésion: retarder de 9 ans l'entrée en vigueur du traité, autoriser l'utilisation des mines dans certaines régions à caractère exceptionnel (Corée), et autoriser un type de mines qu'eux seuls ne jugaient pas être des mines antipersonnel (ce qui a donné lieu sur place à la plaisanterie suivante: quand est-ce qu'une mine antipersonnel n'est pas une mine antipersonnel? Réponse: quand elle est américaine!)

Pressions diverses, chantage, diffusion de fausses informations et rumeurs. Les Etats-Unis n'ont renoncé à aucune tactique pour parvenir à leurs fins. Jusqu'au dernier jour la crainte a été grande de voir des pays céder à ces pressions et accepter les propositions américaines qui auraient totalement vidé le texte de sa substance. Mieux valait un traité d'interdiction totale sans les Américains plutôt qu'un texte passoire, avec eux.

Mais les représentants de l'Oncle Sam ont perdu. Isolés, laissés à l'écart, ils ont vu tous leurs amendements rejetés et les textes, sans exception ni délai, votés avec détermination.

Ainsi, depuis le 16 septembre, le texte défintif du traité d'interdiction est arrêté. Il devrait être signé à Ottawa, le 3 décembre, par plus de 100 pays. (Les Etats-Unis ne seront donc vraisemblablement pas signataires et manqueront certainement à l'appel la Chine et le Pakistan, grands producteurs de mines. Par contre le Japon et la Russie semblent être sur la bonne voie). Il suffira ensuite que 40 d'entre-eux le ratifient pour qu'il entre en vigueur. Ce que nous espérons pour la fin de l'année 1998.

Première leçon à tirer de cet événement. Il semble fini le temps où les Etats-Unis pouvaient guider le monde à leur convenance. L'union et la détermination de nombreux petits et moyens pays a pu isoler et ridiculiser le géant américain. L'indignation de la société civile et l'immense pression exercée par plus de 1000 ONG ont eu raison de l'arbitraire.

Oslo, 10 octobre 1997

Ce jour-là, le comité Nobel a attribué le Prix Nobel de la Paix 1997 à la Campagne internationale pour interdire les mines antipersonnel et aux campagnes nationales qui la composent. Pour la Campagne suisse, qui regroupe 45 ONG (Organisations Non-Gouvermentales), l'heure est à la joie et à la fierté. Mais elle est surtout à un constat. Cette décision atteste de la victoire possible de l'humain, des petits, des victimes, dans un monde qui systématiquement vénère les grands et les puissants. Elle apporte la preuve de la justesse du combat contre les mines, de plus en plus largement reconnu comme étant prioritaire et démontre que la solidarité entre ONG peut faire changer la marche du monde.

Seconde leçon à tirer. Notre travail en faveur de la paix, nos activités d'ONG, souvent considérées comme utopistes et irréalistes peuvent faire plier des gouvernements, devenir une force mondiale et être reconnues à leur juste valeur.

Ces deux signes sont porteurs d'espoir. Nous devons plus que jamais poursuivre nos combats pour un monde de paix. Et en ce qui concerne plus particulièrement les mines antipersonnel, nous devons continuer notre engagement: s'assurer que les pays ratifieront ce texte dans les plus brefs délais, dénoncer les industries encore impliquées dans la fabrication de composants, et renforcer toues les actions de déminage. Enfin l'aide aux victimes doit être amplifiée, les soins médicaux bien-sûr, mais aussi la formation et la réinsertion professionnelles permettant aux victimes de ces armes barbares qu'un avenir soit possible.

E. Reusse-Decrey,
coordinatrice de la Campagne suisse