Une Suisse sans armée n° 35, automne 1997, p. 9

Manoeuvres franco-helvétiques:

Quand les armées récupèrent les civils

L'équipe suisse de foot n'ira pas en France, mais notre armée y est déjà.

Mercredi 15 octobre 97, l'opération ayant pour nom de code «Léman 97» atteint son apogée. C'est une démonstration prévue depuis 18 mois, à laquelle participent des bataillons suisses et français, parait-il spécialistes de l'assistance humanitaire. Dans ce scénario, les services professionnels de la Sécurité civile et des sapeurs pompiers allaient se trouver dépassés par les événements.

Le motif de l'exercice était de tester la collaboration militaire entre régions voisines en cas de catastrophe, comme par exemple celui proposé pour l'occasion: un tremblement de terre en Haute-Savoie.

Toute l'opération était orchestrée par Adolf Ogi et son homologue français Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat. Celle-ci s'est déroulée du 29 septembre au 17 octobre 97 et a nécessité l'engagement de 500 à 600 soldats suisses, des troupes de sauvetage, sanitaires, transports, transmissions et de l'aviation. Du côté français, les moyens militaires était approximativement les mêmes.

Avant le début de l'exercice, les ordres avaient été donnés dans un courrier adressé à toute la troupe : «Nous sommes à l'étranger, la France nous accueille. En tant qu'invité, nous nous soumettons aux usages et coutumes de l'hôte. Nous représentons la Suisse! Il va de soi que, tant en service qu'en congé, notre comportement doit être exemplaire».

Bilan: une catastrophe

En effet, lors du traditionnel «gueuleton» organisé pour la réussite de ce scénario les syndicats des pompiers français ont préféré boycotter la fête pour d'une part, critiquer les moyens déployés et d'autre part, pour dénoncer le fait de n'avoir pas été associés à ce projet transfrontalier. En effet, dans le cas d'une catastrophe comme un séisme majeur, disent-ils: «c'est nous qui sommes en première ligne, quoi qu'en pensent les militaires!» A cette occasion, les principaux responsables des pompiers et des services de la sécurité civile n'ont pas hésité à venir de Lyon et de Paris pour protester.

De plus, pour les pompiers de la bourgade française de Seyssel, cette démonstration a plus ressemblé à un show irréaliste, où ont manqué juste lasers et musique, qu'une opération de «vrais professionnels» ...

Les dessous du film

Actuellement, aussi bien en France qu'en Suisse, nous assistons à des opérations de récupération des affaires civiles par l'armée. Les opérations effectuées par la protection civile, les pompiers ou la sécurité civile sont prises d'assaut par les forces armées pour faire passer au sein de la population civile le nouveau «look» et les nouveaux objectifs qu'elle veut se donner. Ceux-ci servent à moyen terme à démontrer que l'armée professionnelle existe et à long terme, qu'elle reste utile et opérationnelle même en temps de paix.

Adolf Ogi n'a pas hésité à faire changer le nom de son Département militaire fédéral (DMF) en Département de la défense, de la protection de la population et des sports! Du côté français, c'est le même type de discours: «Il n'y a pas de monopole du sauvetage lorsqu'il s'agit de sauver des vies» a sèchement répondu Jean-Pierre Masseret aux critiques des pompiers.

Cette opération, comme toutes celles à venir, montre clairement que l'armée est à nouveau entrain de tromper la population en restructurant son image. Elle n'hésite pas à monopoliser des taches d'aide publique qui normalement sont dévolues à des organismes civils.

Régis de Battista