Une Suisse sans armée n° 34, été 1997, p. 12

Somalie:

A l'heure ou l'humanitaire devient le principal argument de vente des politiques d'intervention militaire, la mise en évidence des comportements des soldats italiens lors de l'opération censée « restaurer l'espoir » en Somalie jette une lumière crue sur cette conception de l'humanitaire.
Nous publions ci-dessous une correspondance de Rome de Romina Velchi, journaliste à Liberazione. (réd.)

Restore Hope: Militaires italiens, tortionnaires et violeurs

Rome, le 13 juin 1997.

Jusqu'où ira la folie humaine? Maintenant que le couvercle est levé, un flot d'horreurs indescriptibles s'abat sur nous. Dernier épisode de ce cauchemar, l'article que publie aujourd'hui l'hebdomadaire Panorama qui, la semaine passée déjà avait publié photos et interviews à vous laisser sans voix. Aujourd'hui, on va encore plus loin.

Ce n'est plus la guerre, ce n'est plus l'horreur des combats: c'est du sadisme à l'état pur, de la violence sauvage: c'est la barbarie. Ainsi, par la bouche d'un para qui veut rester anonyme et qui se présente sous le prénom de Stefano, on apprend les horribles violences infligées par nos soldats à une jeune somalienne.

Cela se passe fin novembre 1993. Lui, il regarde, il prend des clichés.

Aujourd'hui, il raconte. «Nous avons d'abord commencé à la pincer, à la tripoter», puis, après l'avoir attachée à un engin blindé «quelqu'un a tartiné de la confiture sur une grenade éclairante pour qu'elle pénètre mieux». Il regarde. Clic, photo; «la grenade est entrée sans peine » ajoute-t-il. La fille hurle, elle se débat. Lui, il regarde, prend de nouveaux clichés. Les autres se marrent. La meute ne sait pas comment tuer l'ennui. «Ils riaient. C'était la foire. C'était plus qu'un jeu, c'était faire un truc pour se sentir grands».

Les violences gratuites accompagnent les viols collectifs, Stefano se souvient du meutre de sang froid d'un garçonnet somalien par des marines parce qu'il les avait menacés avec un ... pistolet à eau.

«Ces tortures, c'est toujours Stefano qui raconte, on les a tous pratiquées. Oui, tous, parce que, en Somalie, nous n'étions plus nous mêmes. Tu passes d'un monde civilisé à un autre monde, tu ne sais même plus si on est samedi ou dimanche, tu ne manges plus, tu ne dors plus». Trêve de commentaires...

Panorama publie un deuxième interview. Il s'agit également d'un parachutiste qui, lui, ne tait pas son identité. A 23 ans, Benedetto Bertini décrit, photos à l'appui, d'incroyables épisodes de violence contre les civils. Mais il met également en cause les officiers et il confirme qu'ils ne pouvaient pas ne pas savoir.

Il raconte par exemple que, à l'entraînement, les officiers incitaient les soldats à «ne pas traiter les somaliens comme des êtres humains». La consigne était «dans le doute, tire, même si ce ne sont que des femmes ou des enfants».

Bertini raconte les coups et blessures infligés à un garçon de dix-sept ans et à un vieillard par une formation de carabiniers; il dit la destruction d'un village à coup de mitrailleuses et de grenades en guise de représailles après l'assassinat d'un lieutenant italien, assassinat dont le village détruit ne portait aucune responsabilité. Il raconte également l'agression à coup de crosse de fusil perpétrée par un sous-lieutenant contre un vieux paysan qui travaillait dans un champ. Et pour finir ce catalogue des horreurs, Bertini raconte les faits d'arme dont se nourrissait le mythe de certains officiers. Ainsi, il cite l'habitude du colonel Moschin de se promener avec «une masse cloutée qu'il écrasait sur la tête des somaliens qui croisaient son chemin». Et il ajoute «j'appris par la suite qu'il avait été rapatrié: il y avait été un peu fort...»

Et comme si cela n'était pas suffisant, ajoutons la questions de l'information, ou plutôt de la désinformation. Contrairement à ce que les autorités italiennes - et américaines - ont souvent affirmé, les différents accrochages se sont toujours soldés par un nombre de victimes somaliennes beaucoup plus élevé que celles reconnues officiellement. Ainsi, par exemple, un autre parachutiste raconte que, alors qu'en Italie on annonçait une dizaine de somaliens tués lors de l'accrochage du 9 octobre 1993 à Betel Uen, «en réalité, ils furent des centaines»...

Romina Velchi

Signalons qu'après la publication des interviews et des photos dans Panorama, le gouvernement italien a ouvert une enquête sur les faits et démis de ses fonctions le général responsable de l'intervention en Somalie.

Cela n'empêche pas le même gouvernement de continuer à couvrir une autre expédition "humanitaire", celle qui a actuellement lieu en Albanie. (réd.)