Une Suisse sans armée n° 34, été 1997, pp. 3-4

(Très mauvaise) humeur:

Egoïsme, cynisme et mensonges !

Hier

Depuis quelques mois, la majorité des Suisses et une partie de l'opinion internationale découvrent jour après jour, avec stupéfaction, la face cachée et honteuse de la politique du gouvernement suisse avec la complicité des banques et de l'industrie durant la guerre 39-45. L'attitude égoïste, cynique et mensongère de la Suisse pour protéger ses intérêts matériels durant cette période est enfin dévoilée à tout un chacun.

Aujourd'hui

Tous les «grands politiciens», les patrons des banques et de l'industrie, ont essayé d'expliquer que la situation délicate de la Suisse et de l'Europe d'alors pouvait justifier certaines décisions politiques, excuser certains dérapages, bref, à la guerre comme à la guerre.

Mais aujourd'hui, «plus jamais ça...», ont-ils tous affirmé généreusement. L'occasion, non de se racheter, mais de jouer un rôle d'avant-garde s'est présentée, à eux, le 8 juin lors de la votation contre les exportations d'armes. Scénario connu... les initiants font un mauvais amalgame avec l'Histoire d'hier et les exportations d'armes aujourd'hui. L'égoïsme, le cynisme et le mensonge continuent plus de cinquante ans après.

Que les princes du palais fédéral et que la droite aient fait une campagne outrancière et mensongère contre cette initiative ne m'a hélas pas étonné. Pourtant bien plus grave est l'attitude qu'ont adopté la gauche, les écologistes, les syndicats et bon nombre d'associations humanitaires et tiers-mondistes. Alors qu'il fallait affirmer haut et fort, marquer cette campagne par un engagement politique et public sans relâche pour le Oui, c'est la gêne, le silence ou encore une position molle qui ont condamné lourdement cette initiative avec un triste record de rejet à 78% des votant(e)s! Je ne suis même pas satisfait un tant soit peu du résultat de la votation des Genevois-es (39,7% pour l'initiative). Il était trop facile de croire comme «certain-e-s» le pensaient que Genève voterait majoritairement le Oui. L'antimilitarisme et le pacifisme des Genevois-es n'est pas un dogme absolu, et imaginer que sans campagne pour la votation nous gagnerions les mains dans la poche fut une erreur grave et significative! Seul le GSsA et quelques ami-e-s des Jeunesses socialistes ont fait campagne. Nous qui pensions que l'antimilitarisme est un des éléments fondateur essentiel d'une culture et d'une politique de gauche! Le soir du 8 juin, le mot «solidarité internationale» avait pour moi un sacré goût de vomi...

Et demain?

Les armes suisses contribueront partout à la guerre et à la violence, particulièrement dans le tiers-monde.

Rassurez-vous, chers lecteurs/ trices, le futur Fond de solidarité, imaginé par la Suisse, «permettra de soulager des souffrances partout dans le monde! Il s'agit d'une chance à saisir pour la Suisse». (Kaspar Villiger, 20.6.97)

C'est pourquoi ce même gouvernement, malgré la mise en garde de l'ONU sur le danger de renvoyer les réfugiés de l'ex- Yougoslavie, va durant l'été renvoyer des milliers de Bos-niaques, Kosovars et d'autres victimes de guerre, alors que le retour «chez eux» n'est pas envisageable du tout pour l'instant. Vivent les mesures de contrainte.

Cette logique se confirme avec l'aide de l'armée postée à la frontière tessinoise pour contenir les Albanais tentés d'entrer chez nous. Mieux encore, les futures victimes de la violence auront bientôt un statut spécial et ne pourront prétendre à un quelconque statut de réfugié comme aujourd'hui.

On voit par là que les «erreurs» de 39-45 ne sont qu'un «détail» dans l'histoire suisse, puisque celles-ci se perpétuent aujourd'hui, seuls les acteurs et décideurs ont changé. Bis repetita placent.

Heureusement, ces Messieurs Kohler, Villiger, Ogi et consorts iront expliquer aux plus démunis d'Algérie, Croatie, ex-Yougoslavie, Turquie, Kurdistan, Lybie, Mexique, Angola, Brésil, Bolivie, Arabie Saoudite, Iran, Irak, Inde, Pakistan, Birmanie etc. que le 8 juin, les Suisses ont brillamment sauvé chez eux quelques emplois et... que la barque est hélas pleine!

J'ai dit égoïsme, cynisme et mensonges? Oui!
Parce que telle est leur devise ...

Luc Gilly