Résolution: Contre l’extension du service forcé

Aujourd’hui, l’association “Service Citoyen” a lancé la collecte de signatures pour son initiative. Ce qui, à première vue, semble être une idée géniale avec une attractivité du système de l’obligation de servir, se révèle malheureusement être une proposition inacceptable lorsqu’on y regarde de plus près. Dumping salarial, plus de service obligatoire, renforcement de l’armée et peut-être même une violation de la Convention des droits de l’homme de l’ONU en seraient les conséquences. Le GSsA a déjà adopté une résolution contre cette initiative lors de son assemblée générale en octobre 2021.

L’association “Service citoyen” veut lancer cette année encore une initiative populaire “pour un service citoyen”, qui exige la mise en place d’un service obligatoire pour l’ensemble des citoyen·ne·s.  Contrairement à ce qui prévaut aujourd’hui, les citoyen·ne·s de tous les genres devraient alors fournir un service obligatoire.  La possibilité de servir en dehors du service militaire serait placée sur un pied d’égalité avec ce dernier. Le texte de l’initiative ne donne aucune indication sur la liberté de choix quant au type de service ainsi que sur ce qui pourrait être pris en compte dans ce service de milice.

Selon l’association Service Citoyen, l’initiative devrait permettre d’instaurer une solidarité dans la vie quotidienne, toute personne fournissant un service à la collectivité selon ses capacités. De plus, elle est censée encourager l’égalité des genres. Ce qui sonne comme une idée attractive se saisissant de plusieurs problèmes à la fois ne constitue en réalité ni un progrès social ni ne correspond aux objectifs et à la vision du GSsA.

Le principe “de chacun·e, selon ses moyens” ne pourra pas être appliqué pour plusieurs raisons. En 2020, 5254 personnes sont entrées au service civil.Aujourd’hui déjà, trouver une affectation adéquate constitue une tâche difficile pour de nombreux civilistes. En 2030, 80’000 personnes vont atteindre l’âge adulte,personnes qui devront fournir un service obligatoire en cas d’acceptation de l’initiative pour un service citoyen. Trouver un lieu d’affectation pour toutes ces personnes ne sera pas une tâche facile. De plus, comme déjà mentionné précédemment, le texte d’initiative ne donne pas d’indication sur les critères permettant de déterminer ce qui compte comme service de milice et ce qui ne compte pas. En ce qui concerne la liberté de choix, la clarté n’est pas de mise. D’une part, le service militaire doit être mis sur un pied d’égalité avec le service de milice, ce qui serait synonyme d’une liberté de choix.  D’autre part, les effectifs de l’armée et de la protection civile doivent être garantis, ce qui signifie que l’armée peut passer outre la volonté des personnes devant fournir leur service obligatoire. Comment le principe “de chacun·e, selon ses moyens” peut-il être mis en œuvre si le cadre nécessaire pour cela n’est pas mis en place ? 

Dans les faits, l’initiative aurait pour conséquence que bien plus de jeunes seraient affecté·e·s dans le domaine de la formation ou de santé par exemple, ce qui augmenterait la pression déjà existante sur les salaires dans ces domaines. En effet, en cas de besoin de personnel, pourquoi employer une personne pour un salaire équitable, si l’on peut simplement recourir pour presque rien à une personne devant effectuer son service obligatoire ? L’initiative risque donc d’accentuer le dumping salarial.

L’initiative suggère qu’aujourd’hui l’engagement pour la collectivité est trop faible. Pourtant, les Suisse·sse·s fournissent aujourd’hui déjà beaucoup de travail durant leur temps libre que ce soit dans des associations, dans le domaine politique, comme pompier·ères volontaires, comme bénévoles dans des associations ou encore sous la forme de travail du care. En 2016, les Suisse·sse·s ont fourni 664 millions d’heures de travail bénévole. La mise en place d’un service pourrait permettre de  reconnaître ce travail fourni comme service de milice. Toutefois, un service forcé n’est pas propre à permettre cela, tout au contraire. De plus, il est peu probable qu’au sein de notre Parlement bourgeois, la loi d’application de cette initiative retienne une conception large de l’engagement de milice. 

L’argument lié à l’égalité des genres est lui aussi déplacé. Tant que l’égalité des genres n’est pas une réalité, l’instauration d’un service obligatoire pour les femmes est totalement injustifiée. De plus, il est totalement faux de supposer que les femmes ne fournissent pas de service à la société simplement parce qu’elles ne sont pas sujettes à l’obligation de servir. La part de la lionne du travail du care, tant rémunéré que non-rémunéré,  revient aux femmes. Chaque année, elles fournissent un travail du care d’une valeur de 242 milliards de francs. En étendant un service obligatoire à tout le monde, aucun pas n’est fait en direction de l’égalité. Cela revient simplement à niveler la situation en matière de service obligatoire par le bas. Or, personne ne viendrait par exemple à l’idée de baisser tous les salaires des hommes pour atteindre l’égalité salariale. 

Indépendamment de ce qu’il advient cette initiative, le DDPS a d’ores et déjà émis des réflexions sur le développement du système de l’obligation de servir. Quatre modèles ont été présentés, dont un qui ressemble fortement au service citoyen.Il existe toutefois un problème, relevé par le DDPS lui-même, mais qui n’est pas évoqué par les tenant·e·s du service citoyen : l’idée d’un service citoyen obligatoire est contraire au Pacte de l’ONU sur les droits civils et politiques, que la Suisse a ratifié et qui interdit le travail forcé. Si l’on faisait preuve de sérieux, l’initiative devrait être invalidée.

Comme déjà évoqué, l’initiative souhaite garantir explicitement les effectifs de l’armée et s’aligne ainsi sur le récit selon lequel l’armée serait en manque d’effectifs. À noter que l’armée a un effectif réglementaire de 100’000 soldats alors que son effectif réel actuel est de 140’000 soldats (2020). Cette initiative contribuerait en définitive à renforcer l’armée. Plus de personnes seraient forcées à fournir un service dans une des périodes les plus importantes de leur vie – service qui lui-même laisserait moins de temps pour un engagement au service de la société, déjà fourni aujourd’hui de manière volontaire. Pour toutes ses raisons, le GSsA s’oppose à l’initiative populaire «Service Citoyen». 

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