De coûteuses turbulences

Un livre montre à quel point l’acquisition d’avions de combat est sujette aux pannes et à la corruption depuis les années 1960.

Sepp Moser, le plus célèbre journaliste d’aviation en Suisse, a écrit son livre pour la campagne de votation. Mais son ouvrage est paru trop tard pour jouer un rôle dans celle-ci. Toutefois, grâce au résultat du dimanche 27 septembre, que l’armée ne doit qu’à la chance, son ouvrage est encore plus d’actualité. Il fournit de nombreux arguments pour justifier l’intérêt d’examiner de près l’achat d’avions de combat ainsi que leur vente.

L’auteur décrit la procédure pour l’acquisition de nouveaux avions comme étant d’un « manque total de transparence » – en réaction au rejet du Gripen à cause d’une « transparence totale ». Cette fois, « les résultats des essais de type sont restés top secret ». Et donc « la population a dû approuver un budget de 6 milliards de francs sans savoir à quoi servirait l’argent ». Moser en conclut que de telles votations livrent des résultats douteux.

Big Brother et Moulin Rouge
Moser, qui a déjà publié un livre sur les avions de combat en 1973, n’a rien de flatteur à dire sur les quatre constructeurs. Sous le titre « Big Brother est prêt à décoller », il décrit le contrôle des États-Unis sur l’utilisation de leurs produits. Moser note à propos du F-35 : « C’est le premier avion de ce type à posséder une liaison de données permanente vers les États-Unis. L’entièreté des données et des processus importants sont enregistrés et stockés. Ainsi, après chaque vol, les techniciens savent exactement si quelque chose doit être réparé ou ajusté. Cette technologie est positive pour les opérations quotidiennes – mais si les Américains coupent la liaison de données, l’avion n’est qu’à moitié opérationnel ».

Dans le cas du F/A-18E/F, le même principe s’applique, bien que sous une forme plus limitée. Moser a déclaré à propos des F/A-18CD d’aujourd’hui : « Lors des révisions dans les ateliers de la société Ruag à Emmen, des superviseurs américains sont sur les lieux. Ils démontent les composants sensibles de l’électronique servant au combat aérien, les amènent aux États-Unis pour révision, puis les réinstallent et les scellent. Il ajoute une phrase explosive : « La fonction de ces appareils n’est pas connue en détail des spécialistes suisses. » Vous avez dit souveraineté aérienne ?

Moser se montre certes moins méfiant à l’égard des deux autres fournisseurs. Mais eux non plus ne sont pas des héros dans le livre. Par exemple, l’Eurofighter est évoqué dans le chapitre sur la corruption en Autriche. Et l’entreprise française Dassault est présentée comme le fabricant qui, historiquement, s’est immiscé le plus fortement dans les processus d’achat suisses, même lorsque le produit était médiocre, comme l’avion de combat Milan (env. 1970). « Des hommes politiques et des journalistes ont été invités à participer à des ‘missions d’enquête’ en France qui comprenaient des entrées coûteuses au Moulin Rouge. » Le dernier chapitre est particulièrement intéressant. Le spécialiste s’y demande si l’achat de « nouveaux avions de combat au sens moderne » a du sens. Il fait référence aux ÉtatsUnis, où les avions volent souvent sans pilotes. « Cette question n’est pas encore entrée dans le débat politique ».

Pilatus et Ikea
L’autre grand thème du livre est celui des avions Pilatus. Les titres sont ambigus : « Les avions d’entraînement ont du mordant » ou « Des affaires explosives ».Moser y raconte également sa propre expérience. Par exemple, lorsqu’il a révélé dans le Tagesanzeiger du 22 août 1969 l’utilisation de Pilatus-porter dans la guerre du Vietnam, qui a conduit à une interdiction temporaire d’exportation par le Conseil fédéral. Mais il se moque aussi du relâchement ultérieur de l’interdiction. Moser utilise l’exemple d’une armoire Ikea pour illustrer la définition de la loi sur le contrôle des biens concernant les avions d’entraînement qui ne sont pas « préparés pour un armement ultérieur » : «Tant que les ferrures et les vis ne sont pas incluses, l’avion ne peut pas être assemblé ».

Les expériences de Moser et ses descriptions pleines d’esprit font de son livre une lecture instructive et divertissante.

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