France : La presse en guerre

(Version provisoire réservée aux participants à la rencontre de Genève des 2-3 octobre 1999)

Epargnées par les bombardements et privées de l’intervention terrestre que la plupart d’entre elles appelaient de leurs vœux, les " chefferies éditoriales "1 ont contribué à leur façon à l’effort de guerre : elles ont combattu, plume au poing, l’ennemi intérieur – les critiques des médias – et salué, en pleine guerre, leur propre victoire : la victoire d’un journalisme qui se flatte d’avoir été exemplaire.

Un jounalisme exemplaire?

Dans Le Monde du Mardi 13 Avril 1999, on pouvait lire un éditorial intitulé "Où est la presse unique ?". Il commence ainsi: "Dans la bataille en cours au Kosovo, l'opinion serbe compte, évidenmment. Or elle est manipulée, prisonnière d'une propagande efficace. S'il y a une " presse unique " à dénoncer, une pression médiatique unidimensionnelle à critiquer, c'est à Belgrade qu'il faut les chercher." Et l'éditorial de poursuivre par une description et une analyse (qu'on ne discurera pas ici) de toutes les atteintes à l'information imputables au régime de Slobodan Milosevic, avant de conclure: "En temps de guerre, la presse occidentale n'est certes pas à l'abri de la désinformation. Mais on ne saurait, en cultivant une posture sceptique généralisée, mettre à équivalence la diversité des médias "occidentaux" et l'unicité des médias serbes, comme sont tentés de le faire certains médiologues. La presse "occidentale" souligne les faiblesses et contradictions de l'OTAN, de même qu'elle rapporte non seulement le drame des Kosovars, mais aussi l'angoisse des Belgradois sous les bombes. Faute de l'admettre, les critiques univoques de la presse "occidentale" versent, paradoxalement, dans la propagande."

D'emblée terrassé par l'évidence de la comparaison, c’est à peine si l’on ose relever le procédé : la dénonciation du pouvoir serbe est mise au service d'une critique acerbe de ceux qui contestent les modalités de l'information dans notre propre pays. Un critique acerbe d’autant plus étonnante que la critique des médias était sans doute, dans cette guerre, l'un des faits les plus marquants du jour! Une critique acerbe d'autant plus féconde qu'elle est totalement allusive ("certains médiologues" qui parleraient - mais en quel sens?- de "presse unique") . Une critique dont le contenu est imparable et tient en un seul argument: "Le pire est ailleurs, donc le meilleur est chez nous". Quelle est la leçon de cette "frappe éditoriale"? L’obligation de déléguer la critique des médias aux seuls journalistes dominants. Quant aux autres: silence dans les rangs…Un éditorial de propagande? Non…Tout au plus une tentative d'intimidation. Dérisoire, mais significative…

Dans la deuxième quinzaine du mois d’avril, la campagne d’autocélébration bat son plein. Il suffit de mentionner rituellement le pire – la " couverture " médiatique de la Guerre du Golfe - pour que la comparaison tourne à l’avantage du meilleur : les journalistes dominants se dérobent ainsi à toute discussion sérieuse. Quand Régis Debray critique la propagande pro-Otan des médias, Edwy Plenel, " Le Monde des idées ", LCI, 10/4/1999, se récrie : " Vous êtes un peu injuste. Les télévisions ont beaucoup appris depuis la guerre du Golfe. ". Et tous de célébrer les progrès de toute la classe qui a bien appris ses leçons2. La palme revient sans doute au Nouvel Observateur qui prend ainsi ses désir pour la réalité : " Médias : la rigueur paie. Télé et radios ont tiré la leçon des dérives de la guerre du Golfe. Vérification des sources, modestie de ton : telles sont les consignes des patrons de l'info. Du coup, les Français se remettent à croire les journalistes. " (Le Nouvel Observateur du 29 avril). Un semaine plus tard, Laurent Joffrin, dans Le Nouvel Observateur du 06 mai 1999, p. 142 franchit un pas supplémentaire dans l’escalade: "Disons-le donc, au risque d'être accusé de solidarité corporative : le travail des médias audiovisuels dans ce conflit a jusqu'à présent été exemplaire." La solidarité corporative, en effet, fonctionnne à merveille : toute critique qui n'aura pas reçu l'aval des seigneurs de la profession sera vouée au silence, au pilori ou à la vindicte à grand tirage3.

L’intervention de Régis Debray, dans le rôle du témoin qui se défend d’être un journaliste, mais se soumet aux vicissitudes du journalisme devait relancer la machine. Non sans quelques accès de paranoïa.

Avec à la "Une" un titre choc -"Le cas Régis Debray", Libération du 14 mai 1999, répond en 5 pages au témoignage - discutable à l'évidence - du susdit. Editorial du jour: "Pourquoi répondre?": et Jacques Amalric d'expliquer, en grand stratège, la raison de cette contre-offensive: "(...) nous avions à faire à la charge d'un chevau-léger, elle même annonciatrice d'une bien plus vaste offensive visant à persuader le maximum de Français que l'immense majorité des médias leur ment et les intoxique en dégurgitant sans vérification et sans conscience la pensée unique des dirigeants". A force de prodiguer, jour après jour, ses conseils aux militaires de l'OTAN, Amalric se laisse gagner par leur langage: le dossier de Libération est donc une "frappe chirurgicale" et préventive. La mobilisation des correspondants est donc générale, relayée dans Le Monde, par celles des réservistes: Bernard-Henri Lévy, tantôt "éditorialiste extérieur à la rédaction", tantôt "rédacteur en chef" de sa revue, mais toujours en première page. Quant à la "vaste offensive", à supposer qu'elle se profile, nous expliquera-t-on jamais dans quel média de masse elle sera déclanchée? Quelle sera sa logistique? En revanche, on n'en finit pas de lire, d'entendre et de voir dans les médias où, manifestement, les dominants victimes de leur domination sont persécutés, à quel point quelques ouvrages qui ont gagné leur public sans le concours de ces même médias menacent la démocratie.

Le billet de Pierre Geoges – Le médiologue épinglé - , dans Le Monde du mardi 18 mai page 36, est l’occasion de tenter de faire "d’une pierre deux coups": D"abord prendre à partie ces journalistes – suivez mon regard – qui "font profession de dénoncer en esprits libres et critiques, les errements permanents de la presse" et ensuite épingler Régis Debray4.

Pourtant, le même Joffrin, après avoir pris le risque majeur que l’on a signalé plus haut, est amené à répondre ceci à des lecteurs moins enthousiastes que lui : "Je maintiens que le travail des médias pendant cette guère est dans l'ensemble correct (...) Je n'en tire pas gloire: c'est un simple retour aux critères normaux de la profession". Et de la part de Laurent Joffrin, un retour à plus de mesure5. Ainsi donc ce qui est exemplaire est normal et réciproquement. Mais ce sont justement, "les critères normaux de la profession" dont il convient d'analyser les effets6.

La méfiance des journalistes à l’égard des sources officielles, qu’il s’agisse du gouvernement de Milosevic (et des médias à sa solde) ou des responsables politiques et militaires de l’OTAN, a été, semble-t-il constante. Une vigilance qui n’a pas été partagé par tous les journalistes et qui peut avoir été prise en défaut., mais qui est indiscutable. Revenant après coup sur les informations en provenance de l’OTAN, Reporter sans frontières a tiré un bilan lucide des falsifications que les journalistes ont dû déjouer7.

A peine les bombardements avaient-ils cessé – et alors que la guerre civile et les conflits se poursuivent – on entreprit, dans l’urgence, de tirer les premières leçons : mais celles-ci privilégient le point de vue des journalistes sur le journalisme.

Le médiateur du journal Le Monde - sous le titre En Guerre - tire dans ce journal un premier bilan (Le Monde, samedi 6, lundi 7 juin 1999). Le début de l'article est ... prometteur: "Combien de chercheurs, combien d'étudiants se pencheront-ils dans les mois qui viennent sur la manière dont les médias ont couvert les événements de Serbie? On imagine déjà les titres de ces mémoires, bourrés de statistiques (...). Je n'ai ni l'intention, ni les moyens de leur couper l'herbe sous les pieds". Il faut avouer notre soulagement! Il reste que le corps de l'article mérite un examen détaillé, la fin de l’article rend caduque la prudence de son commencement : "Montrer, expliquer, débattre : malgré quelques hésitations, Le Monde a largement rempli son contrat". Après un tel satisfecit décerné par le médiateur, heureusement que nous n'avons "ni l'intention, ni les moyens de lui couper l'herbe sous les pieds"... On peut au moins se poser la question suivante: qu’est-ce qu’un médiateur?

Que retenir de ce florilège? L’autosatifaction repose sur deux comparaisons, réduites à de simples figures de rhétorique: entre le traitement médiatique de la Guerre du Golfe et celui de la guerre des Balkans; entre l’information en régime démocratique et l’information en régime autoritaire. Deux costumes de prêt-à-porter comparatif. Deux tentative de légitimation par le pire: comme le pire est derrière nous, nous sommes en progrès; comme le pire est ailleurs, nous sommes les meilleurs. Deux formes de défi à toute critique des médias, deux formes de chantage: osez dire que d’une guerre à l’autre, nous n’avons pas progressé ou que la presse française équivaut à la presse serbe, ou taisez-vous.

L’exercice réputé normal du journalisme démocratique ne pourrait être mis en examen que pour quelques dérapages. C’est pourtant cet exercice du journalisme démocratique que nous devons mettre en question, en essayant d’évaluer comment le le fonctionnement normal du journalisme  produit des effets de censure de l’information et des effets de capture du débat

1. Censurer l’information en multipliant les informations ?

1.1. Informer ?

L’usage du conditionnel

Pour respecter ce que Laurent Joffrin appelle " les critères normaux de la profession ", les médias ont multiplié les précautions à l’égard de leurs sources. L’usage du conditionnel a fait office de garant majeur de cette précaution. Une enquête patiente montrerait sans doute que cet usage était vraisemblablement sélectif. Mais il est vrai que d’une guerre à l’autre la grammaire de l’information a accompli des " progrès ". Pendant le guerre du Golfe, les grands médias se sont vu reprocher leur utilisation de l'indicatif : " M. Hussein possède la 4ème armée du monde. Des bébés ont été arrachés à leurs couveuses. Les missiles Patriotes ont atteint leurs cibles.". Ces faits là étaient faux, on le sait à présent. Cette fois on ne recommence pas. On emploie le conditionnel. Mais ce gage de sérieux et de professionnalisme ne saurait masquer – intentionels ou non – quelques effets pervers.

1. Dans le pire des cas, le conditionnel conditionne (presque) autant que l'indicatif : quand des rumeurs invérifiées sont élevées à la dignité d'informations-qui-restent-à-vérifier.

Ainsi, Jean-Pierre Pernaut, au journal de TF1 de 13 heures du 20 avril 1999 parle de " 100.000 à 500.000 personnes qui auraient été tués, mais tout ça est au conditionnel ". Le journal de 20h du lendemain (21/4/1999) , sur la même chaîne, récidive : " Selon l’Otan, entre 100 000 et 500 000 hommes ont été portés disparus. On craint bien sûr qu’ils n’aient été exécutés par les Serbes (...) Bien évidemment, la preuve de l’accusation reste à faire. " Cette réserve semble témoigner d’une prudence dont se dispense le journal de ABC News du 18 avril  qui prend pour argent comptant les infos et rumeurs de l’OTA N : " Grave-digging chain-gangs. A US official tells ABC News that tens of thousands of young males may have been executed in Kosovo "8. IL reste que l’effet est identique : la diffusion d’informations invérifiées contribue – volontairement ou pas – à la guerre médiatique de l’OTAN. Comme si l’ampleur des atrocités pouvait justifier par elle même la stratégie adoptée alors que, impuissantes à les empêcher, elle a même favorisé leur intensification.

Devraient-elles se vérifier des allégations restent des allégations : la crainte du pire ne justifie pas la mutiplication des approximations conditionnelles9. L’ampleur et l’atrocité des crimes commis par les forces militaires et paramilitaires serbes sont manifestes. Mais pourquoi pousser, même au conditionnel, leur exagération jusqu’à l’absurde ? Le nombre de victimes directes de ces crimes est, semble-t-il, plus proche de 10 000 que de 100 000 : seraient-elle encore moins nombreuses, la politique d’épuration ethnique n’en serait pas moins condamnable. Comment dès lors ne pas attribuer à des embardées de la propagande, ces informations sur les " au moins 100 000 personnes manqueraient " ou les " 100.000 à 500.000 personnes qui auraient été tués, mais tout ça est au conditionnel. "

2. Dans le " meilleur " des cas, l’usage du conditionnel entretient des équivoques majeures.

L’usage des caméras.

Une fois tenues à distance les informations et les images de sources officielles, que reste-t-il ? D’abord ce que montrent les caméras.

1. Les images exhibent en dissimulant. On ne disputera pas un seul instant de l’importance ni même de la valeur des images de l’exil forcé des albanophones du Kosovo. Mais - c’est une banalité de le dire - même quand la mise en image n’est ni spectaculaire – et c’est loin d’avoir toujours été le cas – la valeur des images dépend aussi de ce qu’elles ne montrent pas : en l’occurrence les faits privés d’images parce que – de gré ou de force – on ne les filme pas et les explications privées d’images, parce que des arguments peuvent, tout au plus, être illustrés.

On est stupéfait d’avoir à redire cette banalité, victime collatérale de l’autotastisfaction des cheffeies éditoriales. Certaines d’entre elles ont déploré les effets sur l’information de la difficulté d’envoyer des reporters enquêter et filmer en Serbie ou au Kosovo. Mais très rares sont celles qui ont mesuré les effets de la disymétrie des sources sur celle de l’information.

La valeur des images dépend du rapport entre le champ et le hors champ, entre ce que montrent les images et les faits que, de gré ou de force, on ne peut pas montrer : où sont les images sur les effets des bombardement, en dehors des images des prétendues " bavures " ?

La valeur des images dépend du rapport entre le visible et le dicible. Et par exemple : ce que contenaient les pseudo "accords de Rambouillet" ; l’analyse de la volonté de l'OTAN de prouver sa crédibilité dans les Balkans ; les références au droit international, si souvent invoqué en 1990, et qui n'a guère été respecté ici (art. 2 de le Charte des Nations Unies, art. 5 du traité de l'OTAN, art. 35 de la constitution) ; les rapprochements avec les autres "guerres humanitaires" (S.July) qu'on ne livre pas parce que, là, l'ennemi ne serait pas idéologiquement utilisable vu que c'est un ami de l'Occident.11

Où étaient les caméras qui nous expliquaient les autres dimensions de cette guerre ?

2. Les images sont des auxilaires de la propagande. L’exil forcé des albanophones du Kosovo, s’il suffit à condamner la politique du régime de Milosevic, ne permet pas, par lui-même, à justifier les bombardements de l’OTAN. Emotionnellement, peut-être, rationnellement, certainement pas : on peut même voir dans cet exil forcé, comme ce fut le cas, d’une partie de la presse, en dehors de la France, une démonstration de l’échec de la politique de l’OTAN, au regard du principal motif invoqué – protéger les Kosovars. Il en va de même des charniers découverts depuis la fin des bombardements : on ne peut légitimer une politique par ce qu’elle n’a pas pu empêcher (pas plus qu’il ne suffit pour la condamner de constater qu’elle n’est pas parvenue à ses fins). Pourtant, les images produissent – intentionnellement ou pas - des effets de propagande.

Puisque ce sont les bonnes images qui font les bons sondages, l'angle des caméras devient décisif.

Ainsi les images des effets de la mine qui tue quatre personnes le 19/4/1999 à quelques mètres de la frontière et des journalistes font le tour du monde. Comme le dit R.W. Apple Jr, dans The New York Times ( IHT 2/4/1999) : " If slaughter and television come together, as they did in Kosovo, " right-minded " people in Europe and America demand that their own governments do something about it. (If television is absent, as it largely was from the genocide in Rwanda, the demand is much less insistent, however great the loss of innocent life may prove to be. ". Mais surtout les images de réfugiés et leurs récits ont amplifié le soutien à la guerre ("+ 1% par jour dans les 2 premières semaines" expliquait un sondeur). Dans ABC-News du 20 avril, Peter Jennings suggère : "The Alliance was talking about phrases like "The Killing Fields of Kosovo" suggested by some analysts as perhaps trying to draw attention away from a war that Nato is currently struggling with".

Dans Le Nouvel Observateur, 1er juillet 1999, un officier supérieur de l’Otan explique : " Après le fiasco de la guerre éclair, les réfugiés nous ont donné un nouveau but de guerre. C’était décisif. Sans eux, nous aurions bricolé très vite un accord avec Belgrade en échange de l’arrêt des bombardements. Faire partir les Kosovars a été la plus grande erreur de Milosevic. " Un militaire français demande : " Vous vous souvenez de ce petit Kosovar de 10 ans, blessé, qui n’a pu sauver sa petite soeur des flammes ? Eh bien, son témoignage diffusé dans le monde entier a valu plus que 50 divisions... " Il s’agit bien sûr de Dren Saka, dont le sort a été évoqué à la fois par France 2, The Independent et ABC News.

Toute l’ambiguïté d’un dispositif médiatique qui se prétend distinct du dispositif politico-militaire, alors qu’il en constitue cependant un rouage, trouve son expression dans cette phrase de Claude Sérillon : " Il faut faire attention à ne pas privilégier l’aspect émotionnel, même s’il existe, même si l’on sait que c’est cela qui fera bouger les opinions publiques " (Le Monde, 18-19/4/1999.). Faire bouger les opinions publiques : est-ce là l’objectif ? Et en ce cas, en quel sens les fera-t-on bouger ?

Les images ne parlent pas par elles-mêmes. Envahissantes à la télévision, elle ne peuvent pas tenir lieu d’explication. Quels ont été les aspects majeurs des tentatives d’expliquer ?

1.2. Expliquer

Force est de constater que des effets de censure partiellement invisibles et largement impersonnels ont été régulièrement produit, selon deux modalités principales: l’imposition du vocabulaire et la mutilation des explications.

L’imposition du vocabulaire

Avec une touchante unannimité, la presse a souvent épousé le vocabulaire de l’OTAN et, avec ce vocabulaire, la vision du monde qu’il véhicule. Petite liste provisoire:

La mutilation des explications

Confondant généralement les raisons de leur soutien à l’intervention de l’OTAN avec les raisons même de cette intervention, la plupart des commentaires journalistiques se sont satisfaits des explications les plus courtes. En voici quelques unes:

Quand l’histoire est convoquée, c’est une histoire tronquée. Il est vrai que la presse écrite a tenté à plusieurs reprises de replacer le conflit dans son contexte historique. Mais cette contextualisation présentait deux caractéristiques majeures :

Délestée de toute épaisseur historique, l’information l’était aussi de toute dimension stratégique.

Après quelques jours de bombardement, la plupart des éditorialistes découvrent les effets de la statégie militaire de l’OTAN, s’inquiètent de ses conséquences. Ainsi s’installe une distance critique: les moyens employés sont-ils ajustés à la fin poursuivie? On s’inquiète d’une erreur stratégique, et même d’une erreur de stratégie. Mais cette erreur est donnée pour circonstancielle: un choix de moyens mal ajustés au conflit en cours.

Pourtant, du strict point de vue militaire, la stratégie adoptée est l’effet d’une stratégie globale: un concept élaboré depuis plusieurs années par les stratèges américains. Si stratégie erronée il y a, ce n’est pas une stratégie occasionnelle, mais une stratégie générale: très précisément la stratégie générale de l’OTAN pour la gestion des conflits modernes. Placée sous commandement de l’OTAN, la guerre actuelle est soumise à la stratégie globale de l’OTAN, c’est-à-dire de la stratégie globale de l’armée américaine.

Mais la presse n’en dira rien ou presque. Le Monde, il est vrai consacre un article à cette stratégie, mais n’en tire aucune conséquence pour sa ligne éditoriale. Les articles de Sylvie Kauffman informent sur les hésitations des stratèges américains, mais sans être en mesure de donner les clés de cette hésitations.

2. Afficher l’indépendance de sa dépendance ?

Ainsi, le contre-pouvoir médiatique, si fier de de son professionalisme et de son indépendance, a manifesté sur tous les plans sa dépendance fonctionnelle, quand elle n’était pas intentionnelle. Les " excès ", en la matière, ne sont pas des " bavures ", mais des conséquences, peu maîtrisées et peu maîtrisables, d’un dispositif global. Voici quelques échantillons de la connivence et de la complaisance.

2.1 Connivence médiatique : Quand les journalistes deviennent des attachés de presse de leurs gouvernements.

Pendant la guerre du Golfe, le porte-parole du Pentagone, passait beaucoup à la télévision. Il était bon. Après la guerre du Golfe, ce porte-parole est devenu journaliste à NBC (entreprise qui appartient à General électric, gros client du Pentagone puisque fabriquant d’armes). Et ce porte-parole du Pentagone, Pete Williams, est devenu correspondant de NBC auprès du Pentagone. Pendant la guerre de Yougoslavie, Christiane Amanpour, grand reporter de CNN, était la femme de James Rubin, porte-parole du Département d’état. Certains journalistes américains ont cru entendre des redondances plutôt que des dissonances entre les propos de la journaliste de contre-pouvoir et ceux de l’homme de pouvoir.

Le va et vient n'est pas interdit. Ainsi, en avril-mai, Christine Ockrent n’était pas seulement journaliste à France 3 : elle était aussi la journaliste qui, aux Etats-Unis, sur PBS, exprimait le point de vue de la France, ou de l’opinion française, dans la guerre actuelle. Ainsi, le 14/4/1999, Christine Ockrent expliquait :"Il y a un très fort soutien de la guerre en France. Car qu'est-ce que l'OTAN ? L'OTAN est l'alliance des démocraties. Et le consensus dans notre pays est que nous ne pouvons pas perdre. C'est ce que le président Chirac a répété ce soir à la télévision, c'est la bataille de la démocratie contre la tyrannie et la barbarie". Le commentaire autorisé de la journaliste n’est ici qu’une paraphrase du discours officiel.

Sur France Inter, les correspondants auprès de l'OTAN traduisaient ou répétaient les thèmes de communication de l'OTAN, amplifiaient ses manoeuvres dilatoires ou ses mensonges. Ecoutons l’un de ces correspondants : Quentin Dickinson [orthographe incertaine], Journaliste à Radio France, lors d’une conférence sur les journalistes et la guerre au Kosovo au Press Club de France, le 28 juin 1999.

Ne pouvant dissimuler son admiration pour Jamie Shéa, il déclare : " " On lui a reproché d’être partisan ; après tout, quand on est porte-parole de quelque chose, j’imagine qu’on doit se montrer partisan et servir la soupe de son patron. Jamie Shea l’a fait avec un certain talent et en tout cas, avec une résistance physique extraordinaire. Qu’on songe qu’il arrivait à 7 h 45 du matin à l’OTAN et que sa dernière réunion était à partir de 21 heures, qu’il n’habitait pas tout à fait à côté… On peut de ce point de vue là au moins lui tirer son chapeau ". Et plus loin,affirmant que peu de journalistes sont des spécialistes en matière militaire et que ceux qui le sont n’ont jamais eu de responsabilité sur un terrain de guerre, Dickinson explique : " Nous ne savons pas trop quand les militaires nous mentent et quand au contraire ils nous disent la vérité. Nous avons un problème d’interprétation qui est un peu le leur aussi. C’est à dire que leur jargon, surtout le jargon anglo-américain en usage à l’OTAN, leur jargon est redoutable et une fois qu’on l’a décrypté bien souvent on passe à côté de la réalité des choses. Donc la critique que nous avons assez durement déployée depuis le début de cette affaire, a visé exclusivement les porte-parole militaires, rarement les civils. Je ne jetterai donc pas la première pierre à Jamie Shea qui s’est toujours montré d’une grande correction et en petit comité également, nous a dit quelles étaient ses propres difficultés. " Naïveté ?

Le même Dickinson conclut ainsi son exposé : " Je pense n’avoir jamais été manipulé ou alors je l’étais tellement bien que je ne m’en suis pas rendu compte. Il est plus difficile dans le contexte de l’OTAN que dans un contexte totalitaire de manipuler l’opinion à travers la presse. En gros, mentir ne sert à rien car tôt ou tard, tout se sait. Surtout dans un contexte multinational : quelqu’un parle toujours ou quelqu’un a toujours un compte à régler avec quelqu’un d’autre, donc tout sort. Et évidemment, lorsqu’on fait cela c’est très grave par ce qu’on décrédibilise la totalité du discours du porte-parole en question et de l’institution que l’on prétend défendre. Par conséquent, aussi dans le contexte anglo-américain qui (inaudible), nous étions toujours à la merci, même quelques années plus tard, d’une commission d’enquête parlementaire qui aurait tout mis au jour et bien entendu avec des peines rétroactives pour les fonctionnaires civils ou militaires qui se serait montré ainsi autrement qu’à la hauteur de leur tâche. Donc ils étaient très limités de ce point de vue là. Je pense que la seule latitude qu’ils avaient dans la communication, c’était le choix du moment de l’annonce : ils pouvaient le retarder ou l’avancer en fonction de ce qu’ils estimaient judicieux. En dehors de cela, je n’ai pas perçu autre chose que des erreurs qui ont été, loyalement je pense, corrigées. Et aussi, certains scrupules qui ne pouvaient que les desservir, c’est à dire le temps nécessaire après chaque frappe sur une cible autre que celle qui était souhaitée17 le temps nécessaire à l’enquête militaire et technique interne, pour dire : " Hé bien oui, c’est bien nous qui avons démoli tel hôpital ou tel pont au moment où un convoi de chemin de fer s’engageait sur ce pont ". Par ailleurs, et ceci me rapproche de Catherine (Monnet, RFI, reporter à Belgrade) et des autres, je pense effectivement que les mêmes interrogations déontologiques ont pu se poser à Dominique Thierry, à Pierre Benazet et à moi-même (autres correspondants de RF à Bruxelles)."

Consternant : un journaliste qui, dans une guerre où la propagande doit être efficace dans l’instant, croit ou affecte de croire qu’elle est annulée par la possibilité de savoir la vérité " même quelques années plus tard " ; un journaliste qui raisonne du point de vue de l’institution dont il devrait se méfier ; un jourtnaliste qui juge de la qualité des informations qu’il reçoit en fonction des qualités personnelles (réelles ou supposées) de ceux qui les lui donnent…

" Je pense n’avoir jamais été manipulé ou alors je l’étais tellement bien que je ne m’en suis pas rendu compte ". Pas manipulé, vraiment ? Voici ce que l’on peut lire dans un article du Le Nouvel Observateur, 1er juillet 1999, qui revient sur la guerre du Kosovo sous le titre " Rien ne s’est passé comme prévu ". On y lit : " Tout au long du conflit, les responsables politiques redoutent que les opinions publiques ne les lâchent. Au fil des semaines, l’Otan affine sa stratégie de communication, au début bien fragile. " Dans les premiers jours, nous n’arrivions pas à obtenir des données précises de la part des militaires, il nous fallait broder. C’était très pénible ", dit un responsable de l’Otan. Puis la machine se rode. Chaque pays de l’Alliance reçoit de Bruxelles un bulletin confidentiel visant à coordonner les thèmes nationaux de propagande. " Pour les bavures, nous avions une tactique assez efficace, explique un général de l’Otan. Le plus souvent, nous connaissions les causes et les conséquences exactes de ces erreurs. Mais pour anesthésier les opinions, nous disions que nous menions une enquête, que les hypothèses étaient multiples. Nous ne révélions la vérité que quinze jours plus tard, quand elle n’intéressait plus personne. L’opinion, ça se travaille comme le reste."."

La complaisance, à l’insu même de celui qui la pratique, peut prendre une forme détournée. Ainsi on peut, lorsqu'on interroge un responsable politique, lui poser la question que, paraît-il "tout le monde se pose". Exemple, pris sur le vif, dans le journal deFrance 2 du 12/4 : "  Il y a une question que tout le monde se pose. Est-ce qu'il faut aller plus loin jusqu'à une attaque terrestre (...) Peut-on changer ou faut-il se débarrasser du régime de Milosevic ? ". Qui ne voit que les alternatives ainsi présentées sont entièrement pré-construites et immédiatement adaptées au mode de raisonnement de l’interlocuteur ?

Mais la complaisance est souvent beaucoup plus directeet avérée. Un bon exemple est fourni par l’entretien " accordé par Chirac à PPDA à la fin de la guerre officielle. Le 10 juin 1999, trois jours avant les élections européennes, Jacques Chirac reçoit PPDA dans son bureau pendant plus d’une demi-heure. Aucune question difficile n’est posée. Chirac plastronne. Extraits.

PPDA : " - Le président de la République nous a permis de nous installer dans son propre bureau - Merci M. Le président de la République - là-même où de nombreuses décisions ont été prises tout au long de ces onze semaines. Nous verrons tout à l’heure de quelle manière. "

Chirac : " - [Milosevic est] un tyran. Pas une seule frappe... "

PPDA : " - Et il y en a eu 22 000. "

Chirac : " - Il y en a eu de l’ordre de 22 000. Pas une seule frappe n’a été faite sans l’accord de la France (...) La France, jour après jour, et plusieurs fois par jour, a donné son accord sur toutes les frappes exécutées et a refusé un très grand nombre de frappes. Et quand il y a eu un refus de la France, les frappes n’ont jamais eu lieu (il évoque les ponts de Belgrade, la façade maritime du Montenegro). C’est ici même dans ce bureau que la décision était prise. " 

[Chirac reprend donc le : " dans son propre bureau, là même où de nombreuses décisions ont été prises " de PPDA. PPDA pose donc ensuite des " questions " sur " les téléphones. " Chirac évoque " celui qui relie au président Clinton et qui marche très bien ", " celui qui le relie à éltsine. ét il reprend : " Aucune des bavures n’est de responsabilité française " PPDA ne l’interroge pas sur la contradiction au moins apparente entre le fait que, selon Chirac, " pas une seule frappe n’a été faite sans l’accord de la France " alors que " aucune des bavures n’est de responsabilité française. " ]

Chirac : " - Nous ne souhaitons pas l’indépendance du Kosovo et il est clairement prévu par la résolution que cette hypothèse est exclue. Ce serait dangereux car ça pourrait remettre en cause l’équilibre de la région. "

[PPDA ne l’interroge pas sur le droit des Kosovars à choisir leur destin, objet allégué de l’intervention de l’OTAN].

Chirac : " (...) A deux heures d’avion de Paris, à nos portes, sur nos terres. Nous devions être là exemplaires si on voulait juger de ce qui se passe ailleurs. "

Dernier exemple de ces échanges entre journalistes et politiques, où l’on voit Christine Ockrent (dans l’émission " Politique dimanche ", France 3, 23 mai 1999) nous proposer une cure d’objectivité.

Daniel Cohn-Bendit: "Moi, je crois qu'on pourrait même dire : on arrête quinze jours, trois semaines les bombardements, parce que de toute façon les bombardements aujourd'hui, à part ceux au Kosovo, contre les forces militaires au Kosovo, en Serbie c'est du théâtre. C'est pour entretenir le théâtre, pour entretenir la pression, mais ça n'a aucun effet, les destructions industrielles ..."

Christine Ockrent :" Ca peut avoir une effet sur l’humeur de la population. Et on voit bien que les pannes d’électricité finalement semblent avoir été plus dommageables pour Milosevic que les attaques contre les fausses casernes. "

Qu’en termes élégants, ces choses là sont dites: "l’humeur de la population". Et quel aveu d’une parfaite objectivité: les objectifs ne sont pas des objectifs militaires. L’épouse du Secrétaire d’Etat à l’Action humanitaire, devenu Secrétaire d’Etat à la Santé ne peut ignorer que les pannes d’électricité mettent en péril des vies, celles que d’habitude on qualifie d’innocentes: des nourrisons et des malades dans les hôpitaux. Des "effets collatéraux"?

2. 2. Complaisance démocratique : quand la différence démocratique devient un alibi.

" Nous sommes des démocraties, l'ennemi est une dictature ". Cette affirmation est importante : elle permettra de relativiser le côté propagandiste de la propagande occidentale ou la violence des bombardements de l'OTAN - des bavures - et de présenter toute information qui vient de chez l'ennemi comme un montage malveillant et malfaisant.

Interrogé sur la propagande de l'OTAN, un journaliste de CNN explique ainsi : " Ils ne faut pas l'assimiler à celle des Serbes. L'Otan représente dix-neuf démocraties. Le gouvernement de Belgrade est un gouvernement autoritaire". Interrogé par Claude Sérillon, Lionel Jospin lui explique : " Les télévisions occidentales, c'est normal, diffusent toutes les images. A la télévision serbe, il n'y a pas d'images sur les déplacements de population du Kosovo. " Et Sérillon opine : "C'est la différence entre une démocratie et une dictature". Cette étrange présentation des choses a toutefois semblé infirmée par le comportement presque " à la serbe " de certains médias, dont L’événement, qui assimilèrent critique de la guerre et complicité avec " Milosevic "18.

Ce discours binaire fleure le maccarthysme. Mais surtout il permet d’exonérer la presse d’une démocratie par simple opposition avec la presse du régime dans une dictature et de traiter très différemment des événements comparables (ou très identiquement des événements différents).

On bombarde la télévision serbe, tuant des journalistes assimilés à des propagandistes du régime (alors mëme qu'on reconnaît que la majorité des Serbes réprouve l'action de l'OTAN) et, le même jour, on s'inquiète du sort d'un journaliste allemand, disparu à la frontière croate. Quand Clinton parle des victimes kosovars des Serbes, il évoque "parmi eux les eux les petits enfants qui ont cheminé pendant des kilomètres , souvent après avoir vu leur père, leurs oncles et leurs frères assassinés sous leurs yeux". Quand une bombe de l'OTAN tue 7 personnes dans une ville serbe ( au nombre desquelles, certainement, des oncles, pères et frères), l'OTAN nous explique et les médias relaient : "Les lois de la statistiques finiront par jouer contre nous et nous serons exposés à un défaut technique". Et dans ce cas, on explique, dans le Washington Post, que "Belgrade va utiliser ces pertes civiles dans la guerre de propagande contre l'OTAN". (L'idée que l'Otan utilise les atrocités des paramilitaires serbes au Kosovo dans la guerre de propagande contre Belgrade n'est, bien sûr, jamais soulevée)

Le 20 avril l’OTAN bombarde un immeuble abitant plusieurs stations de radio et chaines de television, entre autres locataires commerciaux. La télévision serbe est aux mains du pouvoir. Comment justifier cependant un tel bombardement? Voici un échange entre Claire Chazal et Cécile Timoreau [orthographe incertaine] dans les jouranl de 20 heures de TF1 du 23 avril :

Claire Chazal :  "  La télévision [serbe] qui émet 24 heures sur 24 est un formidable outil de propagande comme nous l’explique Cécile Timoreau "

Cécile Timoreau: " " Fasciste ", " dégénéré ", " nation criminelle ", " terroriste " : tous les journaux de la télévision serbe utilisent ce vocabulaire de propagande pour décrire les pays de l’OTAN (…) Les journaux télévisés sont une arme à la solde de Milosevic (…) Lors du bombardement de la télévision serbe, quelques plans de l’immeuble détruit ont été diffusés. ét voici ce qui a été envoyé à toutes les télévisions étrangères : des images insoutenables de Serbes victimes des bombes de l’OTAN (…) Mal-informée, la population serbe est forcément partisane. ". Dans le texte qui précède, remplacer serbe par occidentale, la télévision serbe par TF 1 ou France 2, les pays de l’OTAN par la Yougoslavie, Milosevic par Chirac. Trouverions-nous justifié le bombardement de TF1 ou de France 2 par des Mig yougoslaves au prétexte de faire taire la propagande occidentale ? Pourtant, les protestations des journalistes franaçis furent plus que timides. Le Monde, critique en l’occurrence, s’est borné à mettre en cause une action contre-productive parce qu’elle risquait de troubler " l’opinion " dans les pays de " l’Alliance ". On ne s’étonnera donc pas que la presse n’ait pas fait état des protestations des médias indépendants de Serbie19.

3. Réduire au silence en donnant la parole ?

Les gardiens de l'espace médiatique - journalistes dominants entièrement dévoués à la légitimation de leur domination - rêvent que cet espace se confond entièrement avec l'espace public ouvert à la discussion rationnelle : un monopole jalousement protégé et réglementé par ses tenanciers.

Gardien du temple, Laurent Joffrin, dans Le Nouvel Observateur du 20-26 mai éditorialise: "La démocratie suppose un "espace public" où l'on puisse user ensemble de l'argumentation rationnelle. Il lui faut donc une base commune, un accord minimal sur les faits. C'est cette base décisive que minent les mauvais critiques des médias (il y en a de bons, que les journalistes auraient grand tort de ne pas écouter).". De là, deux questions:

Qu'est-ce qu'un bon critique des média? C'est un critique que les médias - sous la plume de Laurent Joffrin - trouvent bon. Qu'est-ce qu'un mauvais critique des médias? C'est, par exemple, un critique qui, pour vérifier l'existence d'un "accord minimal sur les faits", montrerait, preuves à l'appui, que les journalistes dominants, à force de connivence et de complaisance, ont soutenu d'une seule voix, la guerre du Golfe ou le traité de Maastricht. C'est un critique qui aurait fini par inspirer à Laurent Joff'rin, dans le même article, cette réflexion désabusée: "Quant à la pensée unique", elle a sévi au moment du Golfe ou du référendum sur Maastricht". Nuancée, il est vrai par cette parenthèse: "et encore, les opposants avaient-ils, tout de même voix au chapitre". D'où l'on peut - provisoirement - conclure que même Laurent Joffrin connaît des moments de lucidité...

Qu'est-ce que un bon "espace public"? C'est un espace médiatique ouvert aux tribunes libres, mais où les éditorialistes arbitrent de débat, en adressant en chœur et d’une même voix leurs conseils déontologiques aux critiques qui les interpellent et leurs conseils stratégiques aux militaires qui les déçoivent.

Les " chefferies éditoriales " se félicitent du débat démocratique qui se serait poursuivi pendant le conflit. Deux arguments suffisent à cette effort d’aucongratulation : le pluralité des médias exisants; la pluralité des opinions exprimées. On disputera pas de ce minimum démocratique qui, comparé à la situation qui prévaut sous le régime de Milosevitch, peut passer pour l’expression du meilleur des mondes possibles.

On ne s’attardera pas non plus sur les deux réserves importantes, mais somme toute banales :

L’essentiel réside dans la prétention des " chefferies éditoriales " de devenir les organisateurs et les garants de l’espace public. En effet, la fonction du journalisme ne s’arrête pas à l’information et au commentaire : convaincues que l’espace médiatique coïncide ou doit coïncider avec la totalité de l’espace public, les " chefferies éditoriales se donnent pour rôle de faire exister un fragment d’espace public qui se veut central, quand il ne se prend pas pour le tout.

L’espace médiatique a ses interlocuteurs attitrés : les journaliste-intellectuels s’adressent aux intellectuels-journalistes. Les points de vue sollicités par les journalistes et les points de vue proposés aux journalistes émanent prioritairement des intellectuels multicartes : ces professeurs d’opinion publique qui se prennent pour des Zola et dont les prises de position éclairent beaucoup plus sur l’éthique de l’intellectuel qui les inspire que sur la question en débat.

En effet, l’espace médiatique construit par les " chefferies éditoriales " est un espace ouvert prioritairement aux prises de position prophétiques. Deux conséquences en découlent immédiatement :

L’approbation inconditionnelle des bombardements de l’OTAN devait conduire à une surenchère de réserves et de conseils sur ses modalités. Par ignorance ou par feinte, nos experts improvisés ont prétendu contribuer à infléchir la stratégie de l’OTAN appliquée en Yougoslavie : comme si cette stratégie particulière n’était pas la conséquence d’une stratégie militaire globale élaborée de longue date et d’une statégie politique de démembrement de l’ex-Yougoslavie mise en œuvre depuis le début. Tentations dérisoires d’amender l’inamendable qui nous valurent des appels à une intervention terrestre à la fois irréaliste et aventuriste dans le cadre de cette coalition, des appels à l’élimination physique de Milosevic, des appels au soutien inconditionnel à l’UCK.

Ce n’est pas tout. L’espace médiatiaque construit par les " chefferies éditoriales " est un espace ouvert prioritairement aux prises de positions individuelles. Sans doute quelques textes collectifs ou quelques prises se position se prévalant de leur rapport à un collectif ont-ils été publiés, mais dans des conditions qui en déforment ou défigurent le sens :

Enfin, l’espace médiatique construit par les chefferies éditoriales, situé à l’intersection de la sphère du journalisme et des milieux intellectuels produit un simulacre de débat : un débat journalistiquement rentable et intellectuellement profitable.

Force est de constater que, avec l’approbation ou la caution des " chefferies éditoriales ", les imprécateurs ont pris quelques longueurs d’avance sur les analystes. Mieux : alors que l’imprécation était une fonction fort répandus du côté des staliniens, mais aussi des gauchistes qui sur ce point furent longtemps les imitateurs des précédents, elle a changé de camp avec les transfuges. Les grands excommunicateurs ont retrouvé le plein emploi. Ainsi, BHL, en trois articles, est parvenu à exclure le peuple serbe de la communauté humaine (dont il se serait lmui-même exclu), à chasser le Chevènement de nos têtes (parce qu’il n’aurait plus tout à fait la sienne) et à bannir Régis Debray de la communauté intellectuel (parce que, jusque dans son style, il ne mériteriat plus le statut d’écrivain). De même, Pascal Bruckner, à trois reprises, a reconverti sa compassion ostentatoire pour les peuples des Balkans en détestation des épouvantails antiaméricains qu’il a fabriqués, à grand renfort d’allusions et d’amalgames, de ses propres mains20. Enfin, quelques gauchistes d’hier, en mal de mortification, sont devenus les spécialistes de la mortification de leurs anciens camarades : jusque dans l’abjuration, ils sont restés des prêtres.

Ordonateurs des noces de la morale et de la politique, quelques-uns ont prétendu diagnostiquer, chez les opposants à l’intervention militaire contre la Serbie de Milosevic, " Ce qu’ils ne supportent pas "21. Ce document permet à ses auteurs de conclure triomphalement : " Notre philosophie en la matière est et demeure celle du proverbe chinois: qu'importe que le bâton qui frappe le serpent soit propre ou sale pour peu qu'il le tue. Pas à n'importe quel prix, bien entendu - mais nous en sommes encore loin... ". Peu importe les moyens…mais pas à n’importe quel prix : comprenne qui pourra.

Le comble a sans doute été atteint par Jean-Louis Margolin auquel on doit notamment les lignes suivantes : "Auguste Bebel avait coutume de répéter que l'antisémitisme est le socialisme des imbéciles. Aujourd'hui, l'antiaméricanisme est la radicalité des crétins. Cette "vision" n'est pas limitée à la France : aux Etats-Unis, un Noam Chomsky (régulièrement publié dans Le Monde diplomatique) en est venu, en bon logicien, à douter de la réalisté des chambres à gaz nazies ou du généocide polpotiste au Cambodge, puisque le gouvernement américain les dénonce." 22

On aurait pu répondre ainsi : Jean-Louis Margolin, dont la profondeur de vue n'a d'égal que le sens de la nuance enrichit le débat dans Le Monde du 29 mai d'un raccouci saisissant de vérité sur les capacité d'analyse de son auteur. Pour cet esprit délié, toute critique de la stratégie de l'OTAN témoigne d'un antiaméricanisme imbécile, qui mérite - comparatisme oblige - d'être assimilé à... l'antisémitisme: "Auguste Bebel avait coutume de répéter que l'antisémitisme est lesocialisme des imbéciles. Aujourd'hui, l'antiaméricanisme est la radicalité des crétins.", semblable à l'antisémititisme. Et Le Monde, pourtant submergé de "points de vue" au point de ne savoir lequel publier, non seulement trouve ça intéressant, mais choisit de mettre en valeur l'aphorisme margolinesque. Il est vrai que, de son côté, remarque par prenthèse notrre analyste, Le Monde Diplomatique ose publier "régulièrement" des articles de Noam Chomsy: si l'on comprend bien, il devrait être censuré. Pour quel crime? En être venu à " douter de la réalité des chambres à gaz nazies et de la réalité du génocide polpotiste au Cambodge". Cette calomnie - qui n'a pu échappé à la rédaction du Monde - relève de la simple diffamation. Il est vrai qu'un bon historien, comme tout bon journaliste contrôle soigneusement ses sources. A moins que contaminé par son objet d'étude - le communisme stalinien - notre chercheur ne lui emprunte ses pires procédés.

Le même margolin affirme que Régis Debray, Pierre Bourdieu, Jean Clair renvoient dos à dos massacrés et massacreurs (autrement dit les forces serbes et les kosovars). Ils ont tous affirmés strictement l'inverse. Mais sans doute le noble historien a-t-il pu établir que les documents étaient falsifiés.

Avec ces ingrédients, les chefferies éditoriales et les notoriétés intellectuelles ont fabriqué de toutes pièces une " guerre des intellectuels " : spectacle tragi-comique dont la mise en scène relève du journalisme lui-même. Le Nouvel Observateur, sous la plume de Marie-France Etchegoin, publie un dossier – au demeurant bien informé et équilibré - sur cette prétendue guerre. Mais l’un des traits les plus frappants de cet article, c’est l’aveuglement dont il témoigne sur ce simple fait : la guerre des intellectuels n’est jamais qu’une guerre de position dans l’espace médiatique ; c’est une guerre déclenchée, orchestrée et arbitrée, par les journalistes qui contrôlent l’accès de cet espace23. Qui peut prétendre que le poids rationnel des arguments prévaut sur le poids médiatique des intervenants ? Qui peut prétendre que l’arbitre est neutre dans cette guerre piccrocholine ?

Prêtant leur concours aux intellectuels qu’ils intronisent, les grands journalistes ont trouvé l’occasion de se couronner impérialement eux-mêmes en donnant libre cours à l’anti-intellectualisme latent d’une partie de la profession. Un anti-intellecualisme sélectif, puisqu’il ne prend pour cibles que les intellectuels dont la dévotion à l’égard des tenanciers de médias n’est pas la qualité principale.

Première cible désignée : les sociologues et, plus généralement, les critiques des médias. Laurent Joffrin est passé (petit) maître dans le rôle du journaliste-procureur. La guerre est devenu pour lui l’occasion d’un règlement de comptes. Dans le comportement des médias, il prétend repérer une réfutation de Pierre Bourdieu. Mais – désinformation, aveuglement ou bêtise ? – il prête à son bouc émissaire des thèses qu’il n’a jamais défendues. Et quand il est pris en flagrant délit d’ignorance par un lecteur du Nouvel Observateur, il répond en substance, avec la condescendance qui lui sied si mal, qu’il a le droit de dire n’importe quoi24. Le même emportement de notre éditorialiste je-sais-tout vaut pour sa polémique contre Régis Debray. Il lui consacre un éditorial du Nouvel Observateur, titré Les Pizzérias de l’info et sur-titré : Piège pour un médiologue, avec toute l’ironie méprisante que cela suppose. On peut y lire ceci : " L’éternel donneur de leçon aurait dû, en journalisme, prendre quelques cours… " Et poursuit, avec toute la morgue qui convient : " Sa navrante mésaventure ouvre des horizons sur ce qu’est la médiologie, " science " par lui créée, biscornue et péremptoire à souhait. Après la performance de son fondateur, on soupçonnne le pire. Médiologie, astrologie, scientologie… "25

Dans certains organes de presse, la cible est élargie. La palme revient cette fois encore à L’Evénement. L’accroche du n°759 du 20-26 mai 1999 annonce la couleur : " Kosovo : Régis Debray, première victime française ! ". Le " dossier "  a pour titre : " Affaire Debray : la trahison des intellectuels ". 7 pages dans la rubrique " ces intellectuels qui se sont toujours trompés ".

C’est l’ensemble de ces données qu’il faut avoir en tête pour apprécier " l’affaire Régis Debray " quer laquelle on ne reviendra pas en détail ici. Elle a eu plusieurs effets :

Effet d’aubaine : Régis Debray a fourni le prétexte et l’occasion aux journalistes dominants et à leurs comparses de donner des leçons de journalisme aux " intellectuels " et de se congratuler de leur professionnalisme.

Un seul exemple suffira. Dans l'émission " L'esprit public " de France Culture (16/5/1999), Jacques Julliard commente ainsi l'article de Régis Debray paru dans Le Monde daté du 14 mai 1999 : " Troisième point - et c'est au fond ce qui m'a le plus choqué dans cet article - c'est la leçon implicite de journalisme qu'un certain nombre d'intellectuels - il n'est pas le seul, hélas ! – ne cessent de faire alors que le journalisme est un métier. C'est un métier respectable, nous savons que c'est un métier difficile, c'est un métier nécessaire, il doit être critiqué chaque fois qu'il commet des erreurs ou qu'il se laisse aller à oublier la déontologie de son métier, mais c'est un métier nécessaire. Et je trouve que lorsque Bourdieu et ses amis critiquent, un peu légèrement, les journalistes et surtout de manière complètement systématique, dans une attitude proprement poujadiste, lorsque Régis Debray qui, Dieu merci, Dieu sait s'il est différent de Pierre Bourdieu sur bien des points, donne une leçon de journalisme implicite, eh ! bien, il tombe dans les erreurs qu'il devrait être le premier à dénoncer. Il faut faire attention, il faut faire attention que intellectuel c'est un métier, journaliste c'en est un autre, c'est pas exactement les mêmes, les règles ne sont pas les mêmes, on ne peut pas faire des témoignages à la fois de grand reporter et de journaliste à la fois. A certains moments il faut choisir - vous me direz qu'il m'est arrivé dans ma situation de faire les deux, lorsque je fais du reportage, ça m'arrive parce que j'estime que c'est l'honneur et l'aristocratie de notre métier, j'essaie de le dissocier totalement du commentaire. "

Pour ne pas conclure : les bonnes questions d’un journaliste du Monde.

Sous le titre "Les barbelés de Timor", dans Le Monde du mercredi 8 septembre 1999, Alain Rollat s'interroge sur l'absence d'informations et d'images en provenance de Timor:

"Comment expliquer cette pénurie d'images? Où sont passés les équipes d'envoyés spéciaux qui se marchaient sur les pieds au Kosovo? Qui dira, surtout, l'aveuglement collectif du système médiatique? Qui expliquera son refus de voir? Le syndrome rwandais serait-il devenu universel? Le Kosovo ne serait-il que l'exeption confirmant la règle? (...) Existerait-il un rapport entre les oublis de CNN et le fait que le régime de Djakarta n'a massacré, pendant longtemps que des communistes? (...)".

Bonnes questions, sans aucun doute. Mais pourquoi des questions du même genre sont-elles proscrites, au nom de prétendus progrès, quand il s’agit de la guerre du Kosovo ?

Bonnes questions, assurément, mais qui prennent appui sur une déclaration de Patrick Poivre d'Arvor - " Il faut bien dire que ni les médias et ni dirigeants occidentaux ne se sont pas vraiment souciés de ce qui se passait là-bas" - qui vaut à leur auteur cet étonnant éloge: "Patrick Poivre d'Arvor a été d'une parfaite honnêteté intellectuelle".

Le minimum d’honnêté intellectuelle consisterait d’abord à indiquer la responsabilité que porte PPDA, après des années de silence absolu dans le journal qu’il présente.

Henri Maler

(avec la contribution e Serge Halimi)

  1. Selon une expression empruntée à Pierre Marcelle, journaliste à Libération.
  2. Marc Lecarpentier, Télérama, 14/4/1999 : " On a suffisamment dénoncé ici les dérapages de la guerre du Golfe, stigmatisé le " direct live " d'une info en folie pour pouvoir saluer aujourd'hui, à quelques très rares exceptions près, la qualité du travail réalisé par les journalistes de l'audiovisuel. Ils montrent un véritable souci de résister à tous ceux qui souhaitent tuer la vérité. Et rendent, du coup, un hommage serein et efficace à la démocratie en traquant la réalité. " Olivier Mazerolle, directeur général de l'information de RTL : " Les médias ont tiré un enseignement collectif de la guerre du Golfe. On a appris deux choses : pas de glose pour occuper l'antenne sans informations et un soin extrême dans la façon dont on répercute ces informations en donnant précisément leur source " (Les Echos, 19/4/1999.). Question insolente du Monde à PPDA et Sérillon (PPDA et Sérillon face à face ", 18-19/4/1999) : " Après les critiques essuyées lors de la guerre du Golfe, votre couverture du conflit du Kosovo ne vous vaut que des louanges. Que s'est-il passé ? "
  3. Joffrin : "Comme beaucoup de tâches artisanales, le travail des journalistes se remarque surtout quand il est mal fait. Or on n'entend pas, depuis le début des bombardements au Kosovo, de philippiques contre le " lavage de cerveau " médiatique, l'illusion de l'image et les tromperies de l'information spectacle. Les procureurs habituels de la télévision sont muets ; le silence remplace les réquisitoires. Disons-le donc, au risque d'être accusé de solidarité corporative : le travail des médias audiovisuels dans ce conflit a jusqu'à présent été exemplaire. Les leçons de la guerre du Golfe ont été tirées : point de robinet à image sans signification, de commentaires péremptoires de généraux en retraites, de spéculations hasardeuses dans le style militaro-tonitruant qu'on affectionnait il y a neuf ans. Au contraire, beaucoup de prudence, de doute, de distance à l'égard des sources et de volonté d'équilibre dans l'interprétation. Le comptage des réfugiés est précautionneux, la mise en question des discours officiels, permanente, le croisement des informations, systématique. Le service public fait assaut de sobriété, mais aussi une chaîne privée comme TF1, naguère unique objet du ressentiment des médiaphobes. On ne s'étendra pas sur ce satisfecit : on ne va pas crier au miracle parce que les journalistes font leur travail. Mais enfin, constatons que le système médiatique peut s'amender : voilà qui contredit certains préjugés... " (Le Nouvel Observateur, 1er Avril 1999.)
  4. On lira d'ailleurs dans le même numéro de Monde, le billet d'Alain Rollat: Lettre au pelotion d'exécution, p. 34. Ainsi que le compte rendu de l'article de Debray dans Marianne, par Dominique Dhombres.
  5. Nota Bene: (parce que cela n'a rien à voir... encore que...): dans le même numéro du Nouvel Observateur (page 11), on peut lire, cette sentence "exemplaire" de Laurent Joffrin: "L'Amérique-monde dans laquelle nous vivons désormais est un empire démocratique. Elle s'impose par l'Idée, bien plus que par la force matérielle. C'est le message universel à l'individu, la promesse de la liberté et de la promotion sociale qui fondent la puissance américaine". Encore un journaliste mal informé... mais modeste. Joffrin ne tardera pas à rectifier...
  6. Le Nouvel Observateur du 3 au 9 juin 1999, page 72
  7. Guerre en Yougoslavie : les "bavures médiatiques" de l'OTAN, Reporter sans frontières, juin 1999.
  8. Le 12 avril 1999, The Independent titre sur toute sa "une" sur " la crainte grandit pour les 100.000 disparus." Et " précise " ; " au moins 100.000 personnes manqueraient même si le chiffre pourrait être beaucoup plus élevé, peut être le double.". Comme on ne sait pas, on suggère ainsi que les disparus sont morts.
  9. France 2-20 heures, 25/4/1999 : " Des unités paramilitaires serbes auraient même arraché les yeux de certains cadavres. " Jean-Pierre Pernaut, TF1-13 heures, 27/4/1999 : " Des dizaines d'Albanais seraient utilisés comme boucliers humains. ". Ou encore celle-ci : " des camps de viol dans lesquels leurs victimes auraient été tuées et enterrées après avoir été détenues et violentées".
  10. Voir Daniel Shneidermann, "Dans la neige", Le Monde télévision, 19-25 avril, p. 2.
  11. Au moment de l'épuration ethnique croate en Kajina, le président Clinton avait félicité " les peuples courageux de Bosnie et de Croatie qui ont combattu (les Serbes) et contribué à mettre un terme guerre) " The " courageous people in Bosnia and Croatia " who " fought back " against the Serbs and " helped to end the war " (Cité par Charles Krauthammer, Time, 12 avril 1999.)
  12. Près d' un mois après le début des frappes, André Glucksmann nous a fait partager enfin cette conviction: André Glucksmann, "Ceci est bien une guerre", Le Monde, 18 mai 199, page 15.
  13. Lettre de Marc-Antoine Coppo, dans " La Parole aux lecteurs ", Le Nouvel Observateur du 3 au 9 juin, p. 72.
  14. Edwar Said note à ce propos : " A further irony is that the constant references to "ethnic Albanians" prevents people from realising that most of the refugees are Muslim. Consider that whenever Hamas or Hezbollah, or Iranians or Palestinians, are referred to by the media, the adjective "Muslim" never fails to appear. In Yugoslavia, the tactic used is to suggest that these are European refugees and hence more deserving of Nato attention. Therefore the word "Muslim" is never used. I have yet to see a programme on the families of the 46,000 Kurdish victims of Turkey's genocide, or the continued starvation of Iraqi civilians (who are also mostly Muslims) taking place right now, with active US participation (supplying Turkey, a Nato member, with Apache helicopters and F-16s, for example). Why that isn't considered as bad as what Milosevic does puzzles me, but one supposes that there is at work a higher logic that ordinary humans cannot easily comprehend.
  15. Sur ce point la tribune du Monde du samedi 15 mai, page 15 "Qu'est-ce qu l'humanitaire"?
  16. Signalons qu'elle a été entreprise en Italie, à l'occasion d'un sémainaire qui s'est tenu à l'université de Padoue, le 26 mai, sur "Le parole della guerra". Par ailleurs, un relevé systématique du vocabulaire utilisé pour rendre compte du conflit par le journal La Repubblica, réalisé par des linguistes de Florence. Des ces travaux il ressort notamment que La figure qui semble caractériser de façon frappante cette guerre, c'est l'oxymoron: (Alessandro dal Lago, "la guerra in persona"), avec des expressions telles que "guerre humanitaire", "guerre éthique", "bombes intelligentes"... Mais ce que mettent en évidence les sondages dans le lexique utilisé par les organes de presse officiels ou les journaux qui s'en font l'echo (de façon passive ou complice?) c'est le recours à une terminologie qui renvoie au monde aséptisé de la haute technologie ou de la médecine: "effets collatéraux", "interventions" (éventuellement chirurgicales par leur précision)... Le résultat étant un dédramatisation du conflit pour le public occidental, sa démobilisation (puisqu'il s'agit de faire une guerre propre unilateralement sans engager ses propres hommes), la normalisation des opérations (qui d'aiileurs réalise que les bombardements sur l'Irak continuent?)qui "au mieux" deviennent des opérations de simple "police" ("bavures"). D'après cet article le ravalement de la guerre à un niveau d'opération de nettoyage, d'élimination de nuisances...tend à encourager la conviction qu'il y a totale disproportion entre le prix de la vie d'un soldat de l'OTAN et celui des vies des populations et armées des balkans, donc deux types d'humanité: cette guerre est "humanitaire", parce que nous, nous sommes des hommes, pas eux, etc...Il y aurait donc épuration ethnique de part et d'autre! (d'après Claude Cazalé)
  17. Les précieux refusaient de prononcer la lettre " R ", comme Révolution. Quentin Dickinson, lui, répugne à employer le mot " bavure "
  18. Même volonté d'associer ceux qui refusent la guerre de l'Otan à ceux qui cautionnent les Kosovars quand Edwy Plenel, (" Le Monde des idées ", LCI, 10/4/1999) glisse en passant : " Ceux qui se mobilisent contre les frappes n'étaient pas là quand il y a eu Srebrenica. "Voici, à ce sujet, le témoignage d'Edward Said : " CNN and its co-conspirators have played the part of a cheering partisan team. I appeared on BBC television and at one point had to remind the announcer who was questioning me that he should allow me to speak without further interruptions. When I drew attention to the shortcomings of the Nato position, he started screaming at me, demanding why I justified Milosevic's ethnic cleansing and how I, as a Palestinian, could endorse the ethnic cleansing of "fellow Muslims". Most TV broadcasters refer to the Nato forces as "ours" and regularly challenge military consultants about the folly of not using ground troops and attacking more Serbian targets, including Serbian television itself.
  19. Notamment celui de l' L'ANEM (association des medias electroniques independants de Yougoslavie) qui soulignait que "cet édifice représentait bien evidemment un équipement du domaine civil qui ne pouvait en aucun cas etre pris pour cible militaire. " et précisait: "Dans le cadre de son combat pour la plus grande liberte mediatique possible, l'ANEM proteste avec vehemence contre ces destructions d'equipements mediatiques. L'ANEM s'est toujours opposee a toutes les formes de censure. Son combat contre la repression des medias independants d'information par les autorites yougoslaves est bien connu du public, a l'interieur comme a l'exterieur du pays."
  20. Pascal Bruckner, Le Monde du 7 avril (à confronter, pour le fond et la forme) à la réponse de Pierre Vidal-Naquet, Le Monde du 9 avril)
  21. " Ce qu'ils ne supportent pas ". par Alain Brossat, Muhamedin Kullashi (département de philosophie, université de Saint-Denis); Jean-Marc Levent est éditeur; Olivier Le Cour Grandmaison (département de sciences politiques, université d'Evry); Jean-Yves Potel (département d'études européennes, université de Saint-Denis) ? Libération, jeudi 22 avril 1999
  22. Jean-Louis Margolin, Le Monde, samedi 29 mai, p. 20 (souligné par nous)
  23. " J'ai très peur que la crise des Balkans ne fasse oublier la vraie guerre : celle des intellos français entre eux. " Ce propos prêté par Le Canard enchaîné (19 mai 1999) à Régis Debray dans une "fausse interview" de ce dernier serait fondé, si le Canard ne se trompait pas d'auteur, même imaginaire.
  24. Le Nouvel Observateur, 3-6 juin 1999.
  25. Le Nouvel Observateur, 20-26 mai 1999, page 80